La cour d’école de demain groupe scolaire du Vivarais à Guilherand-Granges

De l’analyse de la problématique initiale à la réalisation finale, Gaëtan Mazaloubeaud, designer, nous présente toutes les étapes du projet de rénovation de la cour de récréation de l’école du Vivarais à Guilherand-Granges (académie de Grenoble).

Genèse du projet : des problématiques multiples et une volonté de réfléchir avec les usagers

L’idée de repenser la cour de l’école du Vivarais naît au départ pour la Ville de Guilherand-Granges de la nécessité de résoudre une problématique de stationnement aux abords de l’école. En effet, le parking étant très limité, les parents se garent massivement en double-file, induisant des comportements dangereux, ou dans le parking d’une résidence privée voisine, occasionnant des plaintes récurrentes des riverains et un climat délétère dans le quartier.

Dans l’optique de créer une zone de stationnement dédiée, la Ville a acquis un terrain de 1200 m2, jouxtant la cour élémentaire. Des voix commencent alors à s’élever contre ce projet car le terrain acquis, qui accueillait des jardins ouvriers, est entièrement végétal et pourrait offrir une qualité d’usage importante au regard de la cour voisine.

En effet, la cour élémentaire, de 2000 m2, est entièrement bitumée : en plus de la chaleur insupportable qu’on y mesure dès le mois de mai, elle offre très peu de possibilités de jeux aux élèves. Seuls quelques arbres rabougris, bancs et bacs végétaux entourent un terrain de sport central de 600 m2. A la problématique du stationnement et à celle de l’îlot de chaleur urbain s’ajoute donc celle d’une configuration de cour très genrée : les garçons de cycle 3 occupent une grande partie de la cour pour jouer au foot et les filles et les plus jeunes se partagent le reste du terrain en essayant d’éviter les ballons...

Méthodologie collaborative : n’oublier personne et remettre les enfants au cœur du projet

Au regard des enjeux multiples de ce projet, la Ville de Guilherand-Granges décide donc de faire appel à un professionnel pour aider ses services à élaborer un projet en concertation avec l’ensemble des parties prenantes concernées : les élèves et leurs parents, les enseignants et les directions, les agents périscolaires et techniques, ainsi que les partenaires extérieurs et riverains de l’école.

Afin de répondre à cette demande, Design Tout Terrain, agence de design d’espace spécialisée dans les projets participatifs, propose d’animer une série d’ateliers collaboratifs entre mai et septembre 2019 afin de concevoir le projet avec l’ensemble des parties prenantes : élèves, enseignants et directions, agents entretien, animateurs périscolaires, élus et services de la Ville, parents d’élèves, riverains, partenaires.

L’enjeu est de travailler avec les usagers sur l’ensemble des étapes du projet, de la définition du cahier des charges à la livraison du projet :


 Réunion de lancement : cadrage du projet : périmètre, objectifs, méthode, planning
 Atelier 1 : rapport d’étonnement : diagnostic & cahier des charges
 Atelier 2 : chamboule-tout : inspiration & maquettes de projet
 Atelier 3 : Avant-Projet : hiérarchisation collective des propositions
 Atelier 4 : Projet : prise en compte des retours

Par ailleurs, afin de mettre les besoins des élèves au cœur du processus et des enjeux, chacun des ateliers est programmé en journée avec des groupes d’élèves, et en soirée avec les adultes.

Rapport d’étonnement : suivez mon regard

Force est de constater que la cour est pensée par et pour les adultes : en effet, rien n’est plus facile à sécuriser, surveiller et entretenir qu’une nappe de bitume... Pour autant, il ne faut pas longtemps pour observer les limites d’une telle logique du côté des enfants : omniprésence des jeux de ballon, conflits d’usage manifestes, agressivité (dans un espace nu, les corps des enfants deviennent les premiers supports de jeux), ennui, isolement, etc.
Par ailleurs, les usages détournés en disent long sur les besoins des élèves :

BOUGER

Ils grimpent sur le portail ou le grillage, sautent par-dessus la plaque d’un arbre coupé, tournent autour des troncs d’arbres, font l’équilibre sur un rebord de trottoir, se cachent sous les bancs ou derrière le local à poubelles, etc.

MANIPULER, OBSERVER

Ils grattent la terre au pied des arbres pour trouver des fourmis, élargissent un trou dans le bitume, jouent avec des brindilles, avec l’eau des flaques, etc.

SE POSER, SEUL OU A PLUSIEURS

Ils s’assoient ou s’allongent où ils peuvent : sur un rebord de trottoir, en appui sur un rebord de muret, sur leurs manteaux étalés au sol, parlent avec leur petite sœur à travers le portillon qui sépare la cour élémentaire de la cour maternelle, se rassemblent sous le préau ou s’isolent dans un coin, etc.

Conclusions diagnostic : inverser la vapeur

1 – îlots de chaleur : des cours quasi-entièrement bitumées, peu arborées et peu ombragées, très inadaptées aux fortes chaleurs.

  • Intuition : nécessité de déminéraliser de larges surfaces, de végétaliser pour apporter de la fraîcheur, et d’apporter de l’ombre naturelle et artificielle.

2 – conflits d’usage et de non-usage : d’un côté, de grands espace vides et plats favorables aux jeux de ballons qui occupent naturellement les espaces ; de l’autre, si peu d’équipements que les corps des élèves deviennent eux-mêmes vecteurs de conflits d’usage.

  • Intuition : nécessité de rééquilibrer l’occupation des espaces en limitant d’une part les jeux de ballon dans le temps et l’espace, et d’autre part en aménageant les cours pour permettre des usages plus variés et plus mixtes.

3 – diversifier la pratique du sport à l’école : dans les deux cours, les pratiques sportives encadrées semblent se résumer aux sports collectifs et à la course. La nature de l’espace conditionnant largement les usages, une grande nappe de bitume est en effet tout à fait adaptée aux jeux de ballons qui sont devenus la norme en matière de pratique sportive.

  • Intuition : En faisant évoluer les cours vers des espaces radicalement plus mixtes et variés, ce projet invitera les professionnels (enseignants, ETAPs, animateurs, etc) à questionner leurs pratiques et à solliciter beaucoup plus la motricité des élèves : parcourir, grimper, sauter, trouver son équilibre, ramper, etc.

4 – petits et grands : un cloisonnement des espaces en fonction de l’âge des élèves induit un gaspillage d’espace (1 terrain de sport / âge) et un manque de mixité générationnelle (activités passage difficile de la maternelle au CP, barrière symbolique entre petits et grands, etc).

  • Intuition : cloisonner les espaces en fonction des usages et non de l’âge pour gagner de la place et favoriser les échanges entre petits et grands.

Chamboule-tout : ouvrir le champ des possibles

Une fois le diagnostic et les intentions posées, il s’agit d’imaginer de nouvelles solutions avec les usagers. Pour cela, le designer anime des ateliers « chamboule-tout » qui comme leur nom l’indique ont pour vocation à décloisonner l’imaginaire des participants, à les inviter à se défaire de leurs a priori et à envisager des solutions nouvelles et potentiellement décalées.

Les outils de l’atelier chamboule-tout s’adressent aux enfants comme aux adultes, et tournent autour de quelques outils faciles d’appropriation :

  • un plan de l’espace existant ou une grande feuille vierge et des feutres pour tracer des lignes, des zones, des formes, etc : autant les adultes sont rassurés de se projeter dans l’existant, autant les enfants sont souvent plus à l’aise en partant d’un contexte vierge.
  • des images inspirantes pour sortir des sentiers battus : si le professionnel ne fait pas l’effort de « nourrir » l’imaginaire des participants, les solutions convoquées resteront nécessairement dans leur champ de connaissance : un banc pour s’asseoir, un toboggan pour jouer, etc.
  • des cartes d’usage pour préciser les fonctions des différents espaces et équipements : les pictogrammes aident à catégoriser les usages et invitent les participants à envisager de nouvelles pratiques.
  • des éléments de maquette pour formaliser des volumes, intentions spatiales ou formelles : mobiliers, arbres, personnages, véhicules. Autant le plan reste un outil très opaque pour beaucoup de personnes, enfants comme adultes, autant la représentation en 3D offerte par la maquette parlent à tous et facilite grandement la capacité à projeter des hypothèses.

Projet : une cour d’école inspirante, résiliente, conviviale et ouverte sur le quartier

La voiture remise à sa place

Afin de préserver la prairie voisine du projet de parking qui la menaçait, et d’en faire profiter les enfants, la problématique du stationnement a été résolue avec un dépose-minute aménagé en parallèle de la route qui borde la cour.
« Tout le monde en est content : ça a vraiment permis de pacifier les abords de l’école  » direction élémentaire.

Un espace vert partagé avec le quartier

La prairie ainsi préservée offre aux élèves une cour végétale durant le temps scolaire, et au moyen de portillons automatisés, devient un espace vert agréable pour les habitants du quartier en dehors des temps scolaires (soirées, week-ends, vacances scolaires).
« On a hâte de pouvoir en profiter dès que la pelouse aura poussé : il n’y a pas beaucoup de parcs dans ce quartier. » Parent d’élève.

Un projet écologique soutenu par l’agence de l’eau

Outre la plantation de plus d’une trentaine d’arbres pour apporter ombre et fraîcheur en été, le projet intègre la végétalisation de larges surfaces sous les arbres ainsi que le remplacement de larges surfaces de bitume par un support gravillonné, clair et perméable pour limiter l’effet d’îlot de chaleur. Enfin, des puits drainants de 5m de profondeur ont été installés de manière à permettre l’infiltration dans le sol d’une grande partie des eaux de ruissellement.
« Des communes voisines et le CAUE nous ont déjà contactés pour visiter cet aménagement : ils reconnaissent l’ambition du projet et veulent s’en inspirer » Chargée de projet

Les jeux de ballons revisités

A la jonction de la cour et de la prairie, une arène sportive ronde entourée d’une piste de couleur fait le lien entre les deux partie de la cour. Entourée de grilles sur lesquels les enfants font des traversées, elle est recouverte de pelouse synthétique perméable.
« Ici, c’est l’arène des lions : les élèves peuvent jouer au foot mais apprécient aussi de pouvoir jouer au sol : en pratique, c’est autant un tatami qu’un terrain. » Enseignante

Des mobiliers conviviaux, polyvalents et éco-conçus

Un large banc circulaire surmonté d’une pergola en bois, une longue vague en bois qui sert autant de parcours que de transat ou de cachette, des tunnels en bois pour se cacher, une grande table de pique-nique collective au milieu de la prairie : tous les mobiliers du projet sont réalisés par les ateliers de la Ville
« Réaliser les mobiliers en régie nous a permis de mettre au point des formes originales qui font de cette cour un lieu unique, de valoriser les savoir-faire de nos agents, et d’économiser une part conséquente du budget : les mobiliers de fournisseurs sont très chers. » Responsable espaces verts

Des élus et des services convaincus par la démarche collaborative

Outre la mobilisation massive des ateliers et des agents des espaces verts, l’engagement et l’audace de la maîtrise d’ouvrage a été un ingrédient essentiel de la réussite du projet : Madame La Maire, les élus et les services concernés ont été présents à chacun des ateliers collaboratifs pour rappeler le cadre et l’ambition du projet, et échanger avec les autres acteurs de manière constructive. A l’issue du développement, la Ville a redoublé d’efforts pour que la réalisation soit la plus fidèle possible à la proposition issue de la démarche collaborative.

« Au départ du projet, je faisais partie des élus sceptiques quant à la pertinence de la démarche collaborative proposée. Aujourd’hui, je dois vous avouer que ce projet m’a vraiment permis de réviser mon jugement : en plus de l’originalité et de la pertinence de la réponse qui a suscité beaucoup d’enthousiasme, le projet a créé une dynamique très positive et transversale au sein des équipes. » Premier adjoint en charge des aménagements et de l’urbanisme

Retrouvez ci-dessous d’autres photographies des étapes du projet.