Pourriez-vous vous présenter et nous présenter votre enseignement ?
Bonjour, je m’appelle Bruno Meunier, je suis professeur de lycée professionnel en horticulture au collège La Marquisanne à Toulon. Je fais découvrir aux élèves de 4ème et de 3ème SEGPA/ULIS les métiers de l’horticulture et du paysage avec de la vente associée. L’enseignement du champ professionnel ERE (Espace Rural & Environnement) couvre 4 secteurs d’activités : les productions florales et ornementales ; les productions fruitières et légumières ; le paysage /les espaces verts et la viticulture. Ce champ se caractérise par un travail manuel conséquent, des activités en extérieur ainsi qu’une grande variété de tâches et de productions liées aux saisons et au climat. L’objectif en SEGPA n’est pas de qualifier les élèves, mais de les aider à construire un projet de formation en fonction de leurs goûts et de leurs aptitudes.
Parlez-nous de votre projet ?
Il s’agit d’aménager et de végétaliser la cour de récréation à travers un projet de « jardins pédagogiques partagés », la création d’un lieu multiple : terrain d’exercice et jardin paysager. Lieu de repos, de jeux, de rencontres. Jardin de la biodiversité et productif. Espace d’expression artistique et d’interactions multiples. Un potager en guise de cour de récréation, du jardinage pour tous, même à la place des heures de colle. Chaque groupe de 2 ou 3 élèves cultivent une parcelle comme il le souhaite (semer du blé, du seigle, des fleurs d’oignons).
L’ambition est d’éduquer les enfants et les adultes. Tout enfant aujourd’hui qui sait faire pousser une tomate ou sait cultiver, sera sensible aux problématiques liées à l’alimentation, l’agriculture et prendra soin de notre planète.
Le projet utilise la cour comme support pédagogique, il s’inscrit parfaitement dans l’éducation à l’environnement et au développement durable. [1] Il permet d’évoquer des problématiques diverses : ressources, risques majeurs, changement climatique, biodiversité, ville durable, transports et mobilité, aménagement et développement des territoires, agriculture durable et alimentation de la population mondiale… De plus, j’anime le club « JARDIN » ce qui multiplie la sensibilisation à l’environnement à un plus large public.
Quels éléments déclencheurs, vous ont incités à imaginer ce projet ?
L’élément déclencheur du projet est venu d’un de mes élèves de 3ème qui m’a dit : « Monsieur, la cour de récréation du collège ressemble à un parking ! ».
Mais aussi un constat simple. Le collège est entouré d’immeubles, il est situé à quelques centaines de mètres de l’autoroute. Rapporter de la nature en ville, va permettre aux élèves et aux adultes de se sentir mieux, dans un cadre apaisant et plus agréable. « Le jardin, c’est de la philosophie rendue visible » comme l’écrit [2] Erik Orsenna.
D’où, votre volonté de faire entrer la nature dans une cour de récréation…
Cet élève résume à lui tout seul l’environnement dans lequel les élèves évoluent. Bitume et béton envahissent notre espace. Nos élèves grandissent en ville, dans des cités souvent dépourvues d’espaces verts. Le verdissement apaise. De nombreuses études démontrent que les arbres réduisent le stress des individus. Le magazine Science Alert souligne qu’avoir une photo d’un arbre, d’une forêt au bureau peut avoir un effet relaxant. Les arbres sont des calmants naturels. Ils sont aussi capables de réduire les bruits, de protéger les sources hydriques, d’isoler les personnes et les bâtiments de la chaleur. À présent, nous agissons pour le reverdissement de notre environnement scolaire en semant, en plantant partout où cela est possible pour le bien de tous. Le travail de la terre et des plantes se fait dans le temps, nécessite entraide, suivi des cultures et respect des espaces constitués, de la part de tous les élèves du collège. Une démarche éco-citoyenne. Un moyen pour les élèves de s’approprier les lieux et pour le collège de s’embellir pour le plaisir de tous ses usagers. L’aménagement et la végétalisation de la cour apportent une finalité au projet, visible par tous les acteurs du collège, les familles, les professionnels et les institutions.
Quels types d’actions réalisez-vous dans ce projet avec vos élèves ?
À travers les activités, les élèves apprennent à valoriser leurs efforts, individuellement ou en équipe.
Des notions générales et des techniques précises sont abordées concernant l’environnement et la biodiversité. De nombreuses activités en intérieur ou en extérieur permettent aux élèves de développer leurs compétences. Le travail en équipe est privilégié afin d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. En intérieur, nous effectuons : multiplication des végétaux, fabrication de nichoirs, hôtels à insectes. En extérieur, nous orientons nos activités sur la préservation du sol et le recyclage de nos ressources. La sécurité et l’efficacité sont primordiales, mais cela n’empêche pas de travailler dans la bonne humeur. En complémentarité, le club « JARDIN », se base sur les principes de la permaculture (prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement) et du développement durable. (Socialement équitable, écologiquement reproductible)
Dans le cadre de notre thématique, "gérer la chaleur à l’école", comment est-ce qu’un jardin pédagogique peut-il être utile ?
Je m’inspire du livre L’enfant dans la nature, de Mathieu Chéreau et Moïna Fauchier-Lavigne qui nous invitent à reconsidérer l’aménagement de la cour de récréation pour y faire entrer la nature. Pour eux, dans l’aménagement des espaces scolaires, le bitume sert pour les chemins mais l’essentiel est ailleurs. Les extérieurs sont aménagés de manière à prendre en compte les besoins physiques (courir, sauter, rouler, changer d’espace, toucher, cueillir, construire, creuser) les besoins relationnels (jouer ensemble, faire ensemble, coopérer), mais aussi les besoins cognitifs (créer des choses, découvrir avec tous les sens, comprendre, imaginer, rêver).
" La cour classique, avec un grand espace plat, tout ouvert, goudronnée ou bétonnée, c’est un environnement très stressant pour les enfants. Le pire qui soit. Finalement, ça n’est qu’un grand terrain de foot pour une vingtaine de garçons. Les autres se cachent sur les côtés, ou même dedans quand ils le peuvent. " [3]
L’idée est que la cour de récréation ainsi aménagée puisse être à la fois pratique pour les enfants (pour jouer) et les adultes (peu d’entretien). Par ailleurs, ce type de cour de récréation verte prend en compte les enjeux bioclimatiques (rafraîchissement, biodiversité). Un maximum de végétaux et un minimum de bitume qui retient la chaleur la nuit. Le but est de « débitumer », de « supprimer l’asphalte » d’une partie de la cour pour y planter des arbres, arbustes et des vivaces, reconstituer des aménagements avec d’autres matériaux (souches, sable, branches, etc.) pour y créer des îlots de fraîcheur. L’entretien des lieux est réduit et les plantes sauvages y pousseront librement (feuilles non ramassées).
Pour une végétalisation de la cour, quelles sont les problématiques à garder à l’esprit ?
Le reverdissement de la cour est un véritable vecteur d’amélioration de la qualité de vie scolaire des collégiens, le jardin pédagogique partagé constitue un atout pour l’établissement. Favorisant la sociabilité, l’éducation environnementale, la sauvegarde de la biodiversité ou encore lieu d’expression artistique. Il permet à la communauté scolaire de s’approprier leur cadre de vie et d’en prendre soin. Mais les problématiques du climat méditerranéen réduisent nos avancées (les étés sont chauds et secs, l’eau manque car le collège est fermé, l’eau est coupée). Pour remédier à cette pénurie d’eau, nous avons travaillé sur le projet « ECOL’EAU » avec VEOLIA Toulon comme partenaire. Le projet ECOL’EAU consiste à récupérer l’eau de pluie du toit et la stocker dans une citerne. Nous disposons de 5 000 litres d’eau. Nous travaillons avec mon collègue de Sciences et Technologie, monsieur Costes sur le projet « la technologie et le numérique au service de la nature » pour irriguer les végétaux pendant la saison estivale.
Quels types de végétaux, d’arbres, de plantes privilégiés pour apporter de la fraîcheur et de l’ombre tout en s’adaptant au cadre scolaire ?
La cour dispose de nombreux arbres de plus de 10 m de haut pour offrir de l’ombre : les micocouliers résistent à la pollution des villes et à la sècheresse, ils sont particulièrement bien adaptés au climat méditerranéen, peu de danger pour les cours de récréation. À bannir en revanche : les eucalyptus, les mimosas qui ont une forte croissance, mais sont fragiles en cas de vent violent ; les pins parasol ont des racines tranchantes, elles soulèvent les sols et sont peu stables. Nous préférons planter des arbres fruitiers plutôt que des platanes.
Quels conseils pratiques pour ceux qui souhaiteraient se lancer dans un jardin pédagogique ou tout simplement la végétalisation des espaces scolaires ?
Un projet de création d’un jardin pédagogique engage à court et moyen terme. En effet, l’investissement nécessaire en temps et en énergie mérite d’envisager une certaine pérennisation. La création ou l’aménagement d’un espace favorable peut être engagé sur une année, avec une ou plusieurs classes, mais trouvera tout son sens dans une gestion à plus long terme de manière à « rentabiliser » le travail effectué et suivre le rythme naturel des saisons au fur et à mesure de la scolarité des élèves. Ce type de projet est extrêmement valorisant pour les élèves, il favorise l’émulation collective et crée un esprit de groupe.
Je recommande la rédaction d’un dossier qui sera très utile pour contacter des partenaires et solliciter des soutiens. Ce dossier permet également de définir clairement le projet de création du jardin tant sur le plan pédagogique que technique et financier. Pour développer un jardin au collège, l’organisation est importante : désignation d’un coordinateur du projet, définition d’une liste de tâches, d’actions et de leur répartition, établissement d’un calendrier de travail, mise en place d’un tableau commun à tous.
Les choix à établir :
L’emplacement du terrain : à traiter avec les municipalités pour les écoles ou les conseils départementaux pour les collèges et les conseils régionaux pour les lycées.
La surface du terrain : une surface de + de 20 m² pour une classe est un bon début.
Établir un projet de plan du jardin.
Le matériel, il est nécessaire de posséder : 1 bêche, 1 fourche-bêche, 1 binette, 1 râteau, 1 griffe à dents, 1 sécateur, plusieurs arrosoirs, 1 tuyau d’arrosage, 1 brouette, quelques plantoirs à bulbes et des transplantoirs, des tuteurs et des liens.
Quelques idées d’aménagement :
Planter des « grimpantes » sur les supports grillagés
Installer des tables « pique-nique » en bois pour travailler dehors.
Semer, planter partout… Pour créer des îlots de fraîcheur très recherché dès le mois de mai.
Aménager des coins de repos, de lecture.
Créer un JARDIN’ARTS (lieu de sensations, lieu de mise en scène, lieu de poésie, lieu d’installations, d’exposition…)
Où peut-on trouver des renseignements, à qui s’adresser si on n’est pas spécialiste comme vous ?
L’IEN ou le conseiller pédagogique peut aider dans cette démarche. Celui-ci permet d’affiner les objectifs et d’obtenir des conseils pratiques notamment au niveau des aides accordées dans le cadre de dispositifs soutenus par l’Éducation Nationale. Les dossiers d’information et de financement peuvent être obtenus auprès de l’Inspection Académique du département.
Quelques ressources recommandées par l’enseignant (attention, certaines sont payantes) :
• Guide méthodologique : "Le jardin des possibles" Réseau École et Nature.
• Plaquette : « Réussir le développement d’un jardin éducatif » ARIENA.
• « Le jardin de Fred » Frédéric Lisak et Philippe Courtemanche.
• « Copains des jardins » Renée Kayser
• « Dans le jardin, des fruits et des légumes » Gaud Morel.
• « Je jardine » Michel Luchesi