Conseils pratiques

Les bons gestes pour travailler à la maison

Maxime Garraud est ergonome spécialisé dans le milieu de l’enfance et de l’éducation. L’ergonomie est une discipline visant à comprendre l’activité humaine (que ce soit dans le monde du travail ou de la vie quotidienne) afin d’en améliorer ses conditions de réalisation. L’ergonome intervient pour « soigner l’activité » avec diverses méthodes d’observations et de récoltes de données afin de faire des recommandations adaptées à chacun.

Alors que le confinement est prévu pour durer jusqu’au 11 mai minimum, beaucoup d’élèves sont actuellement contraints de travailler à la maison, dans des « postures nettement moins ergonomiques que celles qu’ils pratiquent habituellement à l’école » [1]. Sur le moyen et long terme cela peut causer davantage de douleurs à la nuque, au dos, aux coudes et aux poignets que d’habitude, voire mener à des troubles musculo-squelettiques (TMS).

Les TMS sont des maladies qui touchent les articulations, les muscles, les tendons et sont la conséquence des facteurs biomécaniques, physiques, individuels (âge, expérience, genre, santé) et d’autres facteurs (stress, facteurs psychosociaux). Nous allons d’abord évoquer les facteurs biomécaniques des TMS et les zones corporelles à risque. Ce guide synthétique est à destination des parents d’enfants de tout âge et peut aussi s’appliquer à leurs pratiques, notamment en cas de télétravail.

Les facteurs biomécaniques des TMS

  • La répétitivité : plus le mouvement est répétitif, plus le risque de douleur augmente.
  • L’effort : c’est une contraction d’un muscle ou d’un groupe de muscles. Cet effort dépend du caractère statique ou dynamique de l’action, de la durée du maintien, de la masse des objets utilisés et de la direction de l’effort.
  • La posture : les postures dites « contraignantes » ou « pénibles » sont définies comme positions forcées des articulations. Il s’agit des postures qui comportent des angles extrêmes des articulations et/ou le maintien de positions articulaires durant de longues périodes. Cela concerne aussi bien les postures mouvantes ou statiques.

Ainsi, écrire, réviser, lire, faire des fiches, etc., semblent être des efforts légers mais leur répétitivité et les postures prises pour exercer ces activités peuvent provoquer des douleurs. Il convient alors de comprendre les zones corporelles à risque afin de limiter les postures contraignantes.

Les zones corporelles à risque

 Le poignet : notre poignet est fragile et une extension ou flexion trop prononcée peut mener à des douleurs à court et long termes.

Pour éviter ou limiter les douleurs, le poignet doit rester droit et en appui. Il ne doit pas supporter le poids de la main et doit limiter autant que possible ses flexions et extensions. Lors de l’écriture, le poignet doit être en contact avec un support (la table ou un élément permettant de légèrement rehausser le poignet) afin qu’il soit toujours en appui sans que la flexion ne soit importante.

Pour le travail informatique, il est recommandé d’avoir une souris et un clavier indépendant afin de mieux adapter la posture de ses poignets. En effet, les trackpads et claviers intégrés à l’ordinateur ne laissent qu’une faible marge de manœuvre pour se positionner. Il conviendra alors de placer
l’ordinateur sur une surface plane et de positionner ses mains pour qu’elles soient en appui sur la surface ou sur l’ordinateur afin de garder les poignets droits et en appui.

 Le cou : constamment stimulé (même en état statique), le cou est une zone à risque majeure lors des travaux à un bureau ou un poste de travail. Il suffit que la table soit trop basse / trop haute, que l’ordinateur soit trop / pas assez incliné pour que le cou soit en posture d’extension et que des douleurs se fassent ressentir rapidement.

Pour éviter ou limiter les douleurs, le cou doit rester droit ou très légèrement fléchi en avant. Être recroquevillé sur la table ou en extension forte sur son lit peut provoquer des inconforts, puis des douleurs voire des TMS. Il est aussi important de relâcher les efforts de son cou (très souvent statique lorsque la posture est fixe) avec des pauses régulières (que ce soit pour les enfants ou les adultes).

Pour maintenir son cou droit, il faut organiser son espace de travail. En effet, il convient de travailler principalement sur une surface plane (que ce soit devant un ordinateur ou pour écrire), sur laquelle vous pouvez reposer vos bras, limiter la tension sur vos épaules pour reposer l’effort de votre cou. Afin de limiter les flexions et extensions, il est recommandé d’être face à un écran légèrement incliné vers le haut pour ne pas avoir à lever ou baisser la tête. Il en va de même lors du travail sur une feuille, il convient de la disposer devant soi, à une distance qui ne provoque pas de flexion importante.

 Le dos : souvent mis à rude épreuve par les enfants quand ils sont assis sur une chaise, le dos est une des zones les plus touchées par les troubles musculo-squelettiques. Il convient de ne pas trop le malmener et de le maintenir droit, de préférence contre un dossier. En l’absence d’un siège de bureau réglable, il faut choisir l’endroit où l’on s’assoit correctement. Les canapés et fauteuils bas ont leurs limites : ils paraissent confortables mais incitent à travailler avec le dos très incliné vers l’arrière ou vers l’avant, ce qui n’est pas conseillé sur de longues sessions de travail. Á la maison, la moins mauvaise solution est la banale chaise, si possible plate et dépourvue d’accoudoirs (vous ne pourriez pas régler ces derniers à votre convenance, comme sur une chaise de bureau professionnelle).

Recommandations

  • Prenez le temps de mettre votre enfant à l’aise : être confortable dans une posture non contraignante prend du temps et nécessite d’adapter le mobilier de votre enfant à ses besoins (et non l’inverse !). Pour cela, il s’agit de déterminer ses besoins en fonction de ses activités afin de choisir le mobilier le plus adapté à ce qu’il fait. Si, par exemple, l’activité requiert un large espace pour disposer des feuilles ou autre matériel, une petite table ne sera pas adaptée. Il faut alors trouver une large surface que l’on peut adapter à ces besoins (par exemple, une armoire peut se convertir en tableau d’affichage avec du scotch). En ces temps de confinement, il faut être inventif (à défaut de pouvoir acheter du nouveau mobilier) : une valise peut être un repose-pieds, un tee-shirt peut devenir un appui pour le dos, de la pâte à modeler peut devenir une rehausse (sur mesure !) pour le poignet, une serviette enroulée autour du cou peut aider à maintenir le cou droit et en appui (vous pouvez même l’humidifier légèrement pour rafraîchir votre enfant avec le retour des beaux jours !), un pupitre de musique peut devenir un repose tablette… Tout peut être utilisable tant que votre enfant est à l’aise dans des postures non pénibles ou contraignantes.
  • Faites alterner les postures à votre enfant :si, précédemment, nous avons souligné l’importance de rester droit (que ce soit le dos, le poignet ou le cou), il n’en reste pas moins qu’il ne faut pas rester statique pour autant. En effet, les douleurs interviennent aussi quand la posture est figée. Pour éviter cela, il est recommandé d’alterner entre posture assise au bureau, posture debout (contre la fenêtre pour profiter un peu du soleil), posture active (sur le vélo d’appartement, par exemple).
  • L’importance des pauses : cela paraît évident mais il faut le rappeler, les pauses sont primordiales pour permettre au corps de se détendre et à l’esprit de se relaxer. Car les troubles musculaires ne sont pas liés qu’à l’effort physique, mais aussi au stress. Les pauses sont un moyen de limiter les sollicitations du corps et de limiter les douleurs liées aux postures contraignantes.
  • Laisser des marges de manœuvre : les TMS sont liés aux facteurs physiques, comme nous l’avons vu, mais aussi aux facteurs psychosociaux (pression temporelle, manque d’autonomie, manque de soutien social, travail monotone…). Il nous paraît pertinent d’évoquer les marges de manœuvre car les élèves de tout âge ont besoin de contrôle sur leur propre situation de travail ou de révision. De nombreuses études (Coutarel, 2005 ; Caroly, 2015) ont montré que l’absence de marge de manœuvre (sur son organisation, mais aussi son espace physique de travail) augmentait le risque de douleurs musculaires ou de troubles musculo-squelettiques. Il convient alors aux parents de laisser une part de liberté à l’enfant quant à sa posture, son organisation et son poste de travail.

Encore une fois, nous tenons à rappeler que les douleurs ou TMS découlent aussi de facteurs individuels et de facteurs psychosociaux. Il convient alors de ne pas appliquer les bonnes solutions à la lettre mais bien de les appliquer aux besoins, aux caractéristiques propres et à l’organisation de chacun.

Petite idée en plus

Votre enfant ressent une douleur dans le bras, la main ou le poignet, à la suite d’une journée de travail ou de révision ? Utilisez ce tableau pour comprendre quel(s) mouvement(s) et posture(s) en sont la cause. Vous pourrez ensuite, ensemble, adapter son activité afin de limiter les risques.

Exemple : votre enfant se plaint d’une douleur au poignet. Pour comprendre si cette douleur arrive lorsqu’il travaille à son bureau devant ses cahiers, sur le canapé devant l’ordinateur ou au sol devant ses livres, vous pouvez utiliser la fiche ci-dessous pour cibler les postures contraignantes et les gestes pénibles. Cela peut mettre en lumière les activités qui provoquent la douleur et, ensuite, permettre de trouver des solutions alternatives afin de les éviter ou de les limiter. Par exemple, si vous voyez que la douleur est due à un appui prolongé sur le talon de la main, il serait pertinent de voir quelles sont ses postures qui provoquent cela et d’agir en conséquence : revoir l’espace de travail (a-t-il assez de place pour travailler… ?), adapter le mobilier (rehausser / baisser l’assise ou la table si cela est possible…) ou encore, revoir l’organisation du travail (travaille-t-il trop longtemps dans la même position ? Prend-il des pauses ?)

Lien : Tableau extrait de RITMS 3 - Repères pour l’intervention en prévention des troubles musculo-squelettiques (page 18)

Notes

[1Dominique Soler, PDG de la société d’ergonomie Human Design Group