un article de recherche

Les espaces d’hygiène dans les établissements scolaires

Recherche suite à une expérimentation menée à l’école maternelle Jean Jaurès au Chambon-Feugerolles, 2017-2018 ;
Un article d’Alban Morin, Designer en résidence, Le générateur Cité du design, Saint-Étienne ;

L’article présenté ici fait état d’une recherche et d’une expérience effectuées dans le cadre du Générateur. Ce dispositif lancé en 2016 par la Cité du design et Saint-Étienne métropole, ambitionne de former un jeune designer aux méthodologies du design participatif par le biais d’un projet Je participe à la rénovation de mon école !

Accueilli au sein des équipes de la Cité du design, le designer bénéfice de toute l’expertise et des ressources de la structure afin de mener à bien ce projet. Je participe à la rénovation de mon école ! lie la rénovation d’une école à un projet pédagogique afin de faire découvrir et de sensibiliser des jeunes élèves au design.

Cette expérience pédagogique permet aux élèves et aux enseignants d’échanger, de partager et de construire un projet avec un designer, de son idée à sa réalisation. Le designer partage la maîtrise d’œuvre avec les élèves, les enseignants et il suit les travaux menés par les services techniques de la Ville.

Sollicité par la ville du Chambon-Feugerolles et l’école maternelle Jean Jaurès, le programme Je participe à la rénovation de mon école !, se retrouve pour la première fois confronté aux problématiques des espaces d’hygiène.

Scindé en quatre parties, l’article présente d’abord, et de manière succincte, l’évolution de nos rapports aux espaces sanitaires de l’Antiquité à nos jours. Ces éléments seront ensuite étayés de constats chiffrés justifiant les enjeux contemporains de ces espaces. Enfin, les deux dernières parties feront état des problématiques rencontrées à l’école Jean Jaurès et du projet de rénovation qui en découle.

1. Des lieux d’aisances aux espaces d’hygiènes
2. Les espaces sanitaires à l’heure du constat
3. Le cas de l’école maternelle Jean Jaurès
4. Le projet : un espace qui prend en compte les usages actuels

1- Des lieux d’aisances aux espaces d’hygiènes

Les premières toilettes publiques apparaissent dès l’Antiquité deux mille ans avant J.-C. Pouvant accueillir jusqu’à cinquante places, ces lieux communs offrent durant cinq siècles des espaces privilégiés d’échanges avant d’être supplantés par les bains publics. Au Moyen-Age, règne le « tout à la rue » : la nudité, la toilette, la matière fécale et les urines sont choses normales de la vie et s’effectuent aux yeux de tous. Cette tendance s’inverse peu à peu dans la sphère bourgeoise, puis dans les rues avec la mise à l’écart des latrines publiques. Il faut néanmoins attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaitre la notion d’hygiène et les premières réformes qui l’accompagnent. Le siècle suivant devient celui de la pudeur, nouvelle valeur bourgeoise par excellence, et pousse la population à se laver et à faire ses besoins seule, jusqu’à rejeter la nature humaine.
Avec la multiplication des grands travaux d’assainissement et l’arrivée de l’eau à l’étage, les toilettes individuelles se développent à grande échelle. Les autorités et les fabricants délaissent la notion d’aisance au profit d’une recherche perpétuelle de la propreté et de la pureté. L’espace tantôt évident, refuge d’une action saine et dénuée d’embarras, devient celui du passage forcé où doit disparaître le moindre stigmate de ce besoin physiologique. L’acte est finalement programmé et organisé afin de se dérouler dans les meilleures conditions : seul, au calme et le plus rapidement possible. L’ensemble des rapports sociaux existant autrefois ont disparu, détruits par la dictature de l’hygiène.

2- Les espaces sanitaires à l’heure du constat

Malgré le rapport alarmant livré en 2007 par l’Observatoire national de sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement (ONS) sur les installations sanitaires et les conditions matérielles d’usages, d’hygiène et de santé des élèves, il n’existe toujours pas, à ce jour, de normes régissant la construction et la rénovation des espaces de sanitaires scolaires (surface, nombre, équipement, etc.).

Dans son enquête auprès des classes de primaire, l’ONS évalue le nombre d’incidents [1]dans les espaces sanitaires à 340 pour l’année 2006-2007. Ce chiffre en hausse par rapport aux années précédentes est l’élément déclencheur de l’enquête. La récente loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 sur l’orientation et la programmation de la refondation de l’école de la république n’aura pas réglé cette question et laisse certains acteurs constituer leur propre cahier des charges, quand d’autres s’appuient sur le code du travail ou les indications du règlement sanitaire départemental type relatives aux locaux affectés à l’hébergement collectif. Dans de nombreux cas, il est fréquent de voir apparaître une maximisation et une standardisation de l’aménagement spatial au profit de la santé, des besoins des usagers et de la qualité spatiale.

Au-delà du nombre croissant de ces incidents, l’ONS conclut qu’une portion non-négligeable des élèves de CM1 et CM2 (50,4%), juge les toilettes de leur école inhospitalières. En regard de ces chiffres, l’étude évalue également les pathologies en lien avec la non-fréquentation des toilettes : constipation aiguë ou chronique (15,1%), infection urinaire (21,6%). Bien que l’enquête soit menée sur une population ciblée, l’ONS estime que les chiffres sont autant valables pour les collèges, lycées et les universités. [2]

En ce qui concerne les conditions ayant provoqué de tels constats, elles sont diverses et sont renforcées par de nombreux non-dits sur le sujet. Les reproches mutuels entre les différents acteurs, notamment depuis les lois de décentralisation des années 1980, n’ont cessé de renforcer les tabous sur le sujet et les espaces ont fini par être délaissés par les collectivités et les équipes scolaires. Au sein même des espaces, ce sont les notions d’intimité et de surveillance, de confort, de transgression et de propreté qui sont problématiques. « On ne dit pas assez à quel point cette impossibilité totale de trouver l’intimité nécessaire et l’environnement accueillant les entraîne vers une sorte de déni complet de ces réalités physiques pourtant parfaitement naturelles [3]. » Il s’agit d’un problème de santé publique, dès lors que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » précise l’OMS.

Omniprésente dans le vocabulaire et la vie quotidienne, la logique de surveillance entre en conflit direct avec celle de l’intimité. Aujourd’hui, l’intimité des élèves se résume souvent à des blocs ouverts en haut et en bas et sur des hauteurs suffisamment importantes pour faciliter cette surveillance. Au-delà de ces aménagements justifiés, ces ouvertures provoquent des formes de voyeurismes. À l’école primaire, 14.4% des élèves avouent avoir peur de se rendre aux toilettes à cause d’une fermeture de porte ou du voyeurisme des autres enfants.
Cette capacité à acquérir les conditions d’une intimité n’est donc plus dans les mains des usagers, mais dans celles de ces camarades. Seuls ces derniers sont en mesure d’offrir les conditions d’une intimité aux usagers en respectant leur besoin de tranquillité. Pour pallier ces dérives, certains élèves demandent intentionnellement à se rendre aux toilettes durant les heures de cours, quand d’autres développent conjointement des stratégies, pour échapper aux regards indiscrets et moqueurs. Ces stratégies permettent à l’élève d’avoir, non pas les conditions réelles d’une intimité, mais plutôt un sentiment d’intimité à peine suffisant pour ne pas aller à l’encontre de son bien-être.

En effet, les questions des besoins physiologiques sont fondamentales et durent tout au long de la vie, même si nous avons tendance à l’oublier une fois l’enfant ayant acquis la propreté. En retour, fermer ces espaces comme ils pourraient l’être « à la maison » parait compliqué : les élèves ne devant pas non plus être en mesure de s’adonner à des activités illicites. Dans quelle mesure l’intimité est-elle alors compatible avec la surveillance ?
Pourtant, si les enseignants et les équipes encadrantes ne surveillent pas les sanitaires, les lieux sont vites souillés ce qui augmente considérablement la charge de travail des agents de service et les mauvaises conditions d’usage. La surveillance devient alors l’affaire de tous et la sensibilisation des élèves est primordiale. Un apprentissage du respect d’autrui, des enjeux inhérents à ces usages et une sensibilisation aux conséquences pourraient être un bon point de départ. Et la confiance pourrait être le lien nécessaire.

« [Il] nous faut oser affirmer que la qualité d’un établissement se juge aussi par la propreté de ses toilettes. Que les plus beaux discours sur le respect de la personne sont discrédités par le laisser-aller qui règne dans ces lieux. [4] »

Sous la Troisième République puis après la Seconde Guerre mondiale, la construction des écoles a connu une forte croissance. Durant cette période, beaucoup d’architectures ont supprimé les angles morts pour privilégier une vision panoptique des lieux, propices à une surveillance totale. Les cours de récréation notamment, ont vu disparaître les moindres cachettes. Seuls espaces reclus, les toilettes se sont logiquement imposés dans les écoles comme un territoire de défoulement.

Aujourd’hui, il est fréquent de voir apparaître une forme de critique des institutions scolaires, de son personnel ou des conflits entre élèves aux différents coins de ces espaces : les obscénités devenant chez certains le seul langage du corps. Cette dimension transgressive impacte forcément la propreté des lieux et la sécurité en son sein, mais n’est pas la seule responsable. Plus de 70% des élèves se plaignent de la mauvaise odeur et de l’insalubrité qui caractérisent désormais les espaces d’hygiènes.
L’entretien une fois par jour des espaces semble insuffisant quand une fois la première période de récréation passée, les toilettes n’offrent plus les conditions d’hygiène nécessaires. Les conditions d’entretien des sanitaires ont même parfois plus d’influence que les besoins inhérents à ces réalités physiologiques. En effet, il existe une confrontation entre les besoins des usagers et la pénibilité du travail de ceux qui les nettoient.
Par exemple, les élèves préfèrent des toilettes disséminées dans l’enceinte de l’école quand ceux qui les nettoient prônent des toilettes regroupées. Ainsi, 45% des écoles ont vu disparaître les cuvettes de leurs WC afin de faciliter le nettoyage et par extension l’hygiène. Mais quid de l’élève assis sur une faïence glacée en plein mois d’hiver ?
Cette sensation d’inconfort est renforcée par l’absence quasi systématique d’équipements quotidiens. Les poubelles, les patères, les balayettes ou encore les miroirs ont disparu de ces espaces dans de nombreux cas. Poussé à l’extrême, cette abolition du confort trouve son apogée dans l’absence de papier toilette, ou dans sa régulation. Les élèves souhaitant se rendre aux toilettes doivent aller en faire la demande auprès des équipes encadrantes, avec les différences de traitement qui en résultent.

L’écosystème d’usage que l’on connait chez soi disparaît complétement pour ne laisser qu’un rapport froid, austère, mécanique, voire même repoussant avec nos besoins physiologiques. Cette absence totale de confort, de prise en compte de cette typologie d’espace et la rupture avec un quotidien beaucoup plus attentif, rendent ces actes naturels humiliants et dégradants dans le cadre scolaire. « Quand nous voulons leur apprendre la dignité, nous les rapetissons par négligence [5] » nous répète Philippe Meirieu.

3- Le cas de l’école maternelle Jean Jaurès

Construite dans les années 1930, l’école maternelle Jean Jaurès fait partie du Réseau d’éducation prioritaire (REP) et est située au cœur de la ville du Chambon-Feugerolles près de Saint-Etienne (Loire). Le bâtiment qui l’accueille est installé dans un parc public et se compose de deux niveaux. L’école occupe la totalité du rez-de-chaussée et possède une extension de plain-pied. L’étage est un ancien appartement de fonction actuellement inoccupé. L’école possède cinq classes auxquelles s’ajoute une classe délocalisée dans les locaux de l’école primaire Jean Jaurès.
Allant de la très petite section à la grande, les classes sont desservies par un long couloir en forme de L et s’ouvrent chacune sur la cour de récréation. À chaque extrémité de ce couloir se situent les deux espaces de toilettes mis à disposition des élèves et du personnel de l’école. Le plus grand d’entre eux est adjacent et dépendant de la cuisine, quand l’autre possède son propre accès par le couloir.

Depuis leur construction, les espaces d’hygiène de l’école n’ont jamais connu de réelle rénovation. Les toilettes sont soit alignées côte à côte sans paroi intermédiaire, soit, elles se font face. Il n’y a aucune distinction d’âge et de sexe dans l’aménagement de l’espace. Les conditions d’intimité, qu’elles soient visuelles ou sonores, sont donc inexistantes, mais elles facilitent en retour la surveillance complète de l’espace et les besoins d’intervention.
Cette organisation spatiale et les équipements présents témoignent d’une logique industrielle basée sur des temps d’usages collectifs inscrits dans le planning d’une journée. En effet, si cette logique n’a plus court aujourd’hui, on suppose qu’auparavant les élèves se rendaient aux toilettes en groupe et à des heures précises.

Afin de cerner au mieux les usages et les problématiques présents dans cet espace et de parvenir à une rénovation cohérente, une série d’atelier de design participatif a été mis en place. Il est important de rappeler que le contexte de travail offert par les espaces d’hygiène est singulier. Les pratiques d’observations auxquelles sont accoutumés les designers trouvent ici leurs limites afin de respecter les besoins d’intimité des usagers et de ne pas les influencer. Dès lors, l’objectif fondamental des ateliers fut de sortir les problématiques de leur contexte spatial.

Les ateliers ont été menés avec les classes de moyenne et grande sections de l’école, son personnel et les services techniques de la ville du Chambon-Feugerolles. Durant ces derniers, les participants ont pu développer leur sensibilité, faire appel à leur créativité et se confronter à l’usage de prototypes et objets divers. Un ensemble de formes plastiques, de données textuelles ou sonores a également pu être réuni.
Ces temps singuliers étaient également l’occasion de s’exprimer sans distinction d’âge, de sexe, ni de hiérarchie, sur l’usage quotidien des espaces d’hygiène. Cette méthode de travail m’a permis de soulever trois problématiques caractéristiques de l’usage des espaces d’hygiène au Chambon-Feugerolles : La superposition des usages ; le temps ; les problématiques contemporaines.

La superposition des usages

Contrarié par le manque de place et submergé par la présence massive de dessins, supports, jeux, outils, etc. les usages se superposent dans un même espace, ou sur un même équipement, jusqu’à atteindre des associations invraisemblables. Si l’accumulation graphique présente sur les murs ou l’entassement des jeux ne produit qu’un état chaotique et visuellement lourd pour le personnel et les élèves, les conséquences d’une superposition d’usages dans les espaces d’hygiène (28m2) est beaucoup plus problématique. Dans l’enceinte de l’école Jean Jaurès, les deux sanitaires et la cuisine sont les seuls espaces à disposer d’arrivées d’eau courante. L’ensemble des usages exigeant un besoin en eau s’y retrouvent donc déportés et se superposent sur le peu d’équipements disponibles.
À titre d’exemple, les élèves utilisent l’unique lavabo installé à leur hauteur pour se laver les mains en sortant des toilettes, d’un atelier peinture ou encore de la cour de récréation. Parallèlement, les adultes lavent leur vaisselle, les outils utilisés lors des ateliers, ou les sceaux contenant des produits d’entretien dans un unique évier en inox. La machine à laver étant également présente dans l’espace, le linge est étendu sur les radiateurs, les murets et les lavabos situés à proximité directe des toilettes. Cette succession de superposition d’usages dans un espace restreint fait significativement chuter le niveau d’hygiène et le bon fonctionnement du lieu. En outre, il n’existe pas de délimitation entre les équipements destinés aux adultes (produits ménagers, outils d’entretien, vaisselle, etc.) et ceux des élèves.
Là encore, le fonctionnement du lieu est mis à mal et le risque d’accident est augmenté.

Le temps

Les bonnes pratiques et les préoccupations autour desquelles se sont construites l’école ne sont plus celles du quotidien des élèves actuels. À l’approche de la fin de l’année scolaire, les élèves de petite section commencent à se rendre de façon autonome dans les sanitaires et à se laver les mains. Cette autonomie s’accentue et perdure jusqu’à la fin du cursus maternelle. Ainsi, les temps collectifs disparaissent et l’espace est finalement occupé par un flux quasi constant des élèves et du personnel durant la journée. Initialement prévus pour un rendement collectif et rapide, les équipements en place deviennent incohérents par leur nombre et leur fonctionnement.

Si l’on s’en tient à l’acte physiologique seul, l’espace s’avère inhospitalier. Et bien que l’usage de temps collectif a aujourd’hui disparu, la recherche d’efficacité et de rapidité qu’elle prônait au sein de cet espace ne faiblit pas. Chez les plus jeunes, ce sont les équipes encadrantes qui cristallisent la corrélation entre temps et efficacité. Accompagnant des petits groupes, le personnel ne souhaite pas perdre trop de temps aux sanitaires. Un à un, les élèves sont déshabillés et alignés sur les toilettes pendant que les autres attendent dans les interstices.
Pris par le temps contraint et le nombre d’élèves, Il arrive régulièrement que les élèves ne soient pas incités à se laver les mains, ni à tirer la chasse, ou à s’essuyer seul, etc. Chez les plus grands, cet effet de précipitation est moins flagrant puisqu’ils ont gagné en autonomie.
Cependant, que les élèves soient petits ou grands, le même rapport au temps persiste et ce de deux façons. D’une part, les élèves les plus âgés évoquent leur peur de rater le moment d’atelier en classe et d’être en retard sur leurs camarades.
D’autre part, un élève se soustrayant à la classe durant un trop long moment, ou à répétition pour se rendre aux toilettes, peut se retrouver accusé de « partir en promenade ». Cette omission des temps inhérents aux besoins mictionnels, de selles et aux règles d’hygiène influence l’apprentissage des bonnes pratiques chez l’enfant et développe même chez certains une appréhension à s’y rendre.

Les problématiques contemporaines

L’actuelle rupture entre les usages quotidiens et ceux pensés lors de la construction de l’école soulève également des problématiques plus contemporaines et générales que sont celles de l’écologie, de la gestion des ressources et de l’accessibilité.

Écologie

Initialement conçues pour répondre à l’usage collectif et simultané de groupe d’élèves, les installations consomment la même quantité d’eau qu’elles soient utilisées par un ou plusieurs élèves. Les sanitaires, par exemple, sont équipés d’urinoirs collectifs de 250 cm de long rincés par deux chasses d’eau. Le lavabo à destination des élèves se compose lui aussi de deux bacs de 250 cm de long où peuvent être actionnés, par un seul bouton pression, quatre robinets simultanément. Dans ces conditions, le gaspillage d’eau est important et il est impossible de sensibiliser les élèves sur la gestion des ressources et de leur gaspillage.

Accessibilité

Si l’on observe les multiples conditions d’accès aux locaux de l’école maternelle, on constate que la totalité d’entre elles, à l’exception de celle située à l’extrémité gauche de la cour de récréation, demandent de gravir une série de marches. Dans les locaux, les espaces de circulation sont exiguës et se réduisent dans les espaces d’hygiène avec la présence d’équipements imposants et hétéroclites. La circulation d’une personne à mobilité réduite s’avère donc difficile voire impossible dans l’enceinte de l’école.

En se confrontant aux problématiques contemporaines que sont celles de l’écologie et de l’accessibilité, l’école confirme une nouvelle fois qu’elle se trouve à contre-courant des pratiques et préoccupations du XXIe siècle.

4- Le projet : un espace qui prend en compte les usages actuels.

Si historiquement les usages devaient s’adapter aux espaces imposés par les architectes, on remarque aujourd’hui que les pratiques et les usages quotidiens à l’école Jean Jaurès ont fini par se soustraire de cette domination. Toute la problématique du projet de rénovation des espaces d’hygiène de l’école maternelle a donc été de prendre en considération cette émancipation des usages, qui créée à l’heure actuelle bon nombre d’incohérences, pour parvenir à dessiner autour d’eux des espaces adéquats : l’inversion de ce rapport de force ayant pour but de favoriser le développement des bonnes pratiques et du respect mutuel.

Le contexte de l’école maternelle est un point de départ idéal pour engager un changement dans nos pratiques et rapports aux espaces d’hygiène en milieu collectif. À peine propres à leur entrée dans le système éducatif, l’idée est de pérenniser les acquis des élèves à la maison dans un quotidien qui n’est plus familial.

En parallèle de l’apprentissage des connaissances, les élèves développent et expérimentent donc les rudiments d’une vie collective tournée vers le respect de ses besoins, de ceux d’autrui et les principes hygiénistes. Du fait de leur jeune âge, les élèves disposent de peu d’éléments de comparaison face à ce qu’ils vivent au quotidien.

L’organisation spatiale et les pratiques de l’école, bonnes ou mauvaises, équivalent alors à des normes et façonnent leur développement en fonction. Par conséquent, définir expressément de nouveaux rapports à ces espaces et les fondements d’une sensibilisation globale aux enjeux et problématiques inhérentes, s’avère être la condition sine qua non de la longévité d’une bonne pratique dans nos espaces scolaires.

Ce projet de rénovation des espaces d’hygiène de l’école maternelle Jean Jaurès désire s’inscrire dans cette dynamique. Pour autant, il n’ambitionne pas d’être une réponse parfaite et reproductible face aux nombreuses problématiques que rencontrent les espaces d’hygiène dans les écoles françaises. Il tente de tenir compte au maximum du contexte dans lequel il s’inscrit et des points soulevés durant les temps d’atelier, d’observation et d’échange. La réponse qu’il fournit a pour objectif d’alimenter la réflexion et d’interroger la posture de l’ensemble des acteurs.

Si l’école maternelle stimule et accompagne intelligemment le développement des élèves dès leur scolarisation, leur progression exponentielle entraîne cependant des disparités dans l’utilisation des espaces et des équipements collectifs. Au sein des espaces sanitaires de l’école maternelle Jean Jaurès, les élèves les plus âgés subissent les besoins de surveillance des plus jeunes. À l’inverse, les plus jeunes éprouvent des difficultés à utiliser correctement des équipements souvent plus adaptés aux grands en termes de taille ou de force pour actionner les boutons.
Comme premier acte fort en vue de la rénovation de l’école, il a été décidé de modifier l’organisation globale de celle-ci afin d’offrir aux élèves et au personnel les conditions d’usages optimales des espaces. Ainsi deux pôles ont été aménagés autour des deux espaces d’hygiène existants. L’un pour la petite enfance, l’autre pour regrouper l’ensemble des classes de moyennes et grandes sections.

Dans un souci de cohérence, la réorganisation autour de ces espaces d’hygiène sédentaires a impacté l’école en différents points : le dortoir a été rapproché des classes de petites sections.
À l’étage, des espaces, auparavant délaissés, ont été remis en état et utilisés pour devenir la salle de pause des équipes. Ainsi, un espace a pu être libéré au rez-de-chaussée pour mettre en place une zone d’atelier à la place des anciens sanitaires. Ce dernier est devenu autonome grâce à la conception d’un espace d’accueil dans le prolongement du couloir de l’école.
Enfin, le bureau de la direction et l’espace périscolaire ont été inversés pour permettre au bureau de la directrice d’occuper une place centrale dans l’établissement et à l’espace périscolaire de se situer à proximité direct de la cour de récréation.

La réorganisation globale qu’a subi l’école a engendré la suppression des superpositions d’usages et une simplification des flux. Chaque usage s’associe désormais à un espace hiérarchisé et approprié, sans entrer en conflit avec ceux environnants. La lecture des lieux devient plus aisée et facilite leur bon fonctionnement.
Dans l’usage quotidien, cela permet de rendre le lieu scolaire plus hospitalier, non plus seulement pour les élèves, mais pour l’ensemble des personnes ayant un rapport plus ou moins fréquent et direct avec lui (enseignants, ATSEM, parents, ou encore du médecin scolaire, etc.). En ce sens, Eirick Prairat rappelle que « l’école doit savoir faire une place à chacun pour que nulle ne se sente étranger en son sein. L’hospitalité est une caractéristique du lieu scolaire, mieux, un élément de définition [6] . »
Là encore, l’objectif n’est pas de s’arrêter au territoire prédominant de la classe, mais de se projeter dans l’intégralité des espaces constituant le lieu scolaire, espaces d’hygiène compris. Injustement catégorisé comme un espace « technique », l’attention portée à cette typologie d’espace est moins importante, que ce soit de la part du personnel, de l’architecte, de la collectivité ou des élèves.
Exemple significatif et sûrement pas isolé, les toilettes de l’école primaire adjacente ne sont pas dotées de fenêtre, seulement d’une porte vitrée. Ainsi, la lumière naturelle ne parvient jamais à pénétrer dans l’espace. De plus, unique espace sanitaire de l’école, ce dernier se situe dans la cour de récréation et n’est pas directement relié aux circulations intérieures de l’école.

Convaincu du rôle primordial que jouent le design et l’architecture dans l’hospitalité d’un lieu, le projet de rénovation a conduit à de significatives modifications au sein des deux espaces sanitaires. Celui du pôle « petite enfance » a conservé son agencement et ses équipements, en adéquation avec les besoins des élèves les plus jeunes.
Néanmoins, l’espace a été équipé d’une douche et d’une table à langer. Celui des « moyens-grands » a de son côté été agrandi pour accueillir une buanderie et des toilettes à destination des personnes à mobilité réduite et des adultes de l’école.
L’agrandissement de la pièce a également été un moyen de tirer parti au maximum des points forts de l’architecture. La hauteur sous plafond a été récupérée par la suppression du faux-plafond, libérant ainsi la partie haute de la fenêtre déjà existante. Une seconde fenêtre donnant elle aussi sur la cour de récréation s’est ajoutée à l’espace avec le déplacement d’une cloison. De cette façon, l’espace est entièrement baigné d’une lumière naturelle. Des éclairages supplémentaires ont été disposés pour supprimer les zones d’ombre persistantes.

L’aménagement de la pièce a été entièrement repensé pour les besoins des élèves de moyennes et grandes sections. Un petit espace d’entrée dessert directement les toilettes PMR et offre un espace où s’hydrater et soigner les blessures des élèves avant de s’ouvrir sur l’espace sanitaire. Ce dernier s’est quant à lui construit autour d’un lavabo circulaire distribuant, en symétrie, les différentes installations.
De chaque côté, sont disposés des cuvettes et des urinoirs individuels. Un ensemble de parois de 1 m 50 de hauteur s’érige selon des angles obstruant certains points de vue. De cette façon, les élèves sont dissimulés sans avoir recourt à des portes, considérées comme un frein à de possibles interventions.
Le sol et les murs jusqu’à 1m50 arborent un duo de couleurs chaudes et les espaces d’usage un carrelage blanc mat.
Au-delà, les murs sont clairs et neutres afin de refléter la lumière naturelle et d’offrir une pause visuelle dans le paysage saturé de l’école. Enfin, une attention particulière a été portée sur les équipements secondaires (porte-serviette, porte-savon, miroir, assise etc.). Chacun d’entre eux a été dessiné pour les besoins du projet et l’ensemble devient l’identité formelle du lieu.

La prise en compte de l’hétérogénéité des besoins des élèves permet, d’un côté, d’offrir aux plus jeunes les prérequis d’un apprentissage des bonnes pratiques afin de tendre vers une autonomie, notamment par une surveillance et une possibilité d’intervention accrues de la part des adultes.
D’un autre côté, elle garantit aux élèves plus âgés le maintien de leur autonomie et un degré d’intimité suffisamment élevé pour assurer leur bien-être. La valorisation du capital architectural et l’aménagement de l’espace ont quant à eux renforcé l’hospitalité des lieux afin de le rendre accueillant et engageant pour tous.
Néanmoins, le seul travail de design d’espace ne peut suffire à introniser des pratiques responsables et autonomes dans les espaces d’hygiène. Au mieux, il est un support à l’émergence de ces nouveaux rapports et à leurs pérennisations. Un effort doit donc être déployé pour allier l’aménagement des espaces, selon les besoins spécifiques et reconnues des usagers, à l’établissement d’une pédagogie spécifique à ces espaces. Si l’établissement de cette pédagogie est nécessaire, elle ne doit pas pour autant conduire à la création d’un nouveau domaine de compétence, mais bien de parvenir, par son prisme, à sensibiliser l’ensemble des acteurs
au respect et à la considération de ces temps physiologiques, aux espaces afférents et au rôle de chacun.

Pour conclure :

Une grande majorité des lieux de vie de l’école sont régis par leurs propres codes et leurs cadres, ce qui en donne une parfaite compréhension pour tout un chacun. Dès lors, les règles étant communes à tous, chaque lieu, chaque espace est connu pour les usages qu’il permet.
Malgré ces compréhensions d’usage et de lieux, les espaces d’hygiène sont, eux, peu considérés, que ce soit dans leur fonctionnement technique ou sensible. En leur sein, toute notion de pédagogie a été évincée : les élèves et les équipes d’encadrement s’y succèdent sans qu’aucune interaction n’existe en dehors de celle d’un besoin physiologique pour les uns, technique pour les autres.

Le projet de rénovation des espaces d’hygiène de l’école maternelle du Chambon-Feugerolles a été l’occasion de découvrir cette forme de mépris vis-à-vis de ces espaces, et ce malgré les enjeux majeurs qu’ils soulèvent en miroir de notre société : respect d’autrui, des lieux, bien-être, conditions d’apprentissage, etc.
Travailler avec les méthodologies du design pour rendre les espaces d’hygiène qualitatifs et hospitaliers aura donc été la volonté première de ce travail ; et ce, dans le but d’y engager de nouveaux rapports privilégiés. Le dispositif Je participe à la rénovation de mon école ! a permis de convoquer les élèves, les équipes pédagogiques et les collectivités, pour que tous s’expriment librement sur un sujet au combien complexe.
Chaque rencontre, chaque échange est venu fédérer l’humain autour du projet et a servi à enrichir la réflexion. Au bout du compte, le dessin du projet contient en lui autant cet attachement au respect du corps qu’à l’idée qu’un espace d’hygiène n’est pas à considérer comme un espace mineur, bien au contraire.
L’attention à la couleur, à la lumière, à la matière, chaque détail a compté pour un seul et même objectif, celui de proposer qu’enfin, pratiquer ces espaces se fasse avec le plus grand des respects pour ses usagers.

Désormais conscients de l’influence de ces espaces sur le bien-être et l’apprentissage des élèves, ne serions-nous pas en droit de nous demander si une telle réflexion ne pourrait et ne mériterait pas d’être menée dans l’ensemble des établissements d’enseignement ?

Notes

[1Sont qualifiés d’incidents les actes allant de la dégradation des lieux aux chutes en passant par les différents types d’agressions.

[2À ce sujet, nous sommes invités à nous rapprocher des diverses études conduites notamment par le Professeur Averous, le Dr Bordage-Dussotour, le Dr Gaulin, le Dr Dornier ou encore le Dr Cordoliani.

[3Philippe Meirieu, « Les WC ne ferment pas de l’intérieur », Liaisons Laïques, n°266, mai 2003.

[4Id

[5Id

[6Eirick Prairat, La Morale du professeur, Paris, PUF, 2013.