Article de fond

Mouvement des corps, pédagogie en action par Marie Bara

Un article de Marie Bara, professeure agrégée d’arts plastiques et formatrice Arts Plastiques et numérique (Académie de Nice)

« Regarder un enfant montre clairement que le développement de son esprit passe par ses mouvements (…) le rôle de l’éducateur est de faire en sorte que l’élève, ne confonde pas, sage avec immobile, et dissipé avec activité. » [1]


Maria Montessori

Maria Montessori, célèbre enseignante italienne, docteur en science de l’éducation, est la créatrice d’une méthode éducative fondée sur le rôle essentiel de l’activité dans le processus d’apprentissage, il y est question notamment de l’importance de l’activité physique.
Dans son dernier livre, L’esprit absorbant de l’enfant, publié pour la première fois en 1949, elle écrit : « Quand le développement mental est en discussion, de nombreuses personnes se demandent ce que le mouvement vient faire là-dedans, car nous sommes en train de parler de l’esprit. Et quand nous pensons à l’activité intellectuelle, nous imaginons toujours des gens assis, immobile, sans bouger. Mais le développement mental doit être connecté au mouvement et dépendre de lui. Il est vital que les théories et pratiques de l’éducation prennent en compte cette idée. » [2]

Nous sommes nombreux à être convaincus de cela. Nous avons tous fait l’expérience, d’une journée de conférence, assis sur les sièges rabattants d’un amphithéâtre ou d’une matinée de réunion assis de nouveau, mais cette fois sur du mobilier scolaire standardisé. Plus le temps s’étire, plus il est difficile de rester concentré tant notre posture devient inconfortable, notre assise se fait de plus en plus rigide, et notre inactivité corporelle appelle inévitablement à une certaine mise en veille de notre cerveau. Faisons maintenant le constat qu’il s’agit du quotidien de beaucoup d’élèves, assis pendant des heures chaque semaine, certes avec plus ou moins de sollicitations, d’interactions ou d’activités, mais très souvent avec cette même posture, assis sur des chaises d’écoles standards, souvent inconfortables.

La plupart des éducateurs, conscients et convaincus de cet état de fait problématique mettent en place depuis des années une dynamique de changement pédagogique. De ce fait, ils se heurtent très souvent à un environnement physique contraint, peu adapté à ces nouvelles formes d’enseignements actifs. En effet, nos espaces scolaires sont le résultat d’années d’habitudes éducatives, un enseignement frontal, « magistral », sans mouvement qui induit une organisation spatiale particulière. Des salles de classe étroites, toutes organisées de la même façon. Un mobilier solide, standard : des tables alignées, rangées en « autobus », accompagnés de ces chaises en série. L’ensemble est tourné, polarisé vers l’espace du maître : un bureau massif, symbole d’autorité, un tableau. Parfois même une estrade, un élément de mobilier d’un autre âge qui ne correspond plus à la dynamique pédagogique actuelle.

Le docteur Dieter Breithecker, dirige, depuis 1981, l’institut fédéral allemand pour le développement et la posture. [3] Il est expert dans la recherche sur l’utilisation d’un mobilier ergonomique dans les établissements scolaires pour un meilleur développement physique des élèves. Il explique : « Je sais de ma propre expérience de maître de conférence que la perte de concentration chez les adultes arrive après 25-30 minutes. Chez les enfants d’école élémentaire, la perte de concentration intervient entre 5 et 10 minutes, et chez les adolescents après 15-20 minutes. Nous avons pu conduire beaucoup d’études dans différents pays qui montrent, qu’après quatre leçons le matin, aucune concentration ne peut être maintenue. En revanche, si l’on demande à une personne inactive de se lever et de faire un exercice stimulant son système vestibulaire, et venant ainsi défier son système de balance interne, (par exemple se tenir debout sur un pied pendant 5 à 10 secondes), il sera capable de se concentrer à nouveau. Il est possible alors de faire le lien avec un enfant qui commence à se balancer sur sa chaise, en effet se balancer stimule également le système vestibulaire. Nous avons ainsi découvert que stimuler le système vestibulaire active des hormones spéciales, comme les neurotrophines, qui ont un énorme effet sur l’activité cérébrale. » [4]

Le mouvement vient donc stimuler notre cerveau pour résister à la fatigue du corps et de l’esprit. Cela expliquerait bon nombre de comportements récurrents dans nos classes : se tourner, se retourner, se balancer sur sa chaise, se lever, se déplacer… Tous ces mouvements, cette agitation très présente dans une salle de classe peuvent perturber le bon déroulement d’un cours. Plutôt que de s’épuiser à les contraindre, pourquoi ne pas décider de les prendre en compte ? Admettre donc que certains élèves apprennent mieux assis de façon dynamique ou en faisant quelques pas pour réfléchir. Faire la paix avec la bougeotte, l’agitation des corps. Le penser comme le développement du cerveau. Puis réfléchir comment faire de la place pour cela dans sa classe.

Il ne s’agit pas de transformer sa salle de classe en plateau sportif, mais de comprendre ces comportements et de savoir qu’il est question en fait d’un réflexe physiologique destiné à rompre un état passif pour stimuler l’activité cérébrale. Décider alors de favoriser du mobilier dynamique. Certains introduisent quelques gros ballons de gymnastique permettant l’utilisation d’assise active au besoin. Quand d’autres changent l’ensemble des chaises, pour investir dans du mobilier qui absorbe, autorise, prend en compte le mouvement plutôt que de le restreindre. [5] Nous pensons très souvent à remplacer des technologies devenues obsolètes, tous les trois ans environ, quand il s’agit d’ordinateurs ou de logiciels, mais cette habitude s’applique rarement au mobilier scolaire qui doit durer 20 ans, confortable ou non. Le docteur Dieter Breithecker préconise de « donner aux élèves du mobilier qui les laisse se tourner, se tordre, se pencher en sécurité. Le mouvement va augmenter leur capacité de concentration. Les études montrent que lorsque que vous avez des assises dynamiques, votre température corporelle augmente, signe d’une meilleure circulation sanguine, et donc plus d’oxygène dans le cerveau, rendant la concentration plus facile. » [6]

Imaginons alors un espace qui intègre le mouvement dans son mobilier, dans son organisation et ses situations d’apprentissages. Une classe agile, flexible qui s’adapte aux besoins pédagogiques. Un lieu offrant une pluralité d’espaces d’apprentissages, différentes façons de travailler. Des espaces qui engagent une nouvelle relation entre apprenant et enseignant. [7]
Les écoles sont normalement organisées autour d’espaces strictement définis, remplis de mobilier encombrant ce qui vient limiter la possibilité pour les élèves de bouger, de circuler. Des espaces à l’organisation parfois oppressante venant contraindre les corps dans une posture unique. En empêchant le mouvement, ces espaces ne peuvent pas devenir le support d’un processus d’apprentissage stimulant.

« Chaque apprenant doit avoir accès à une variété d’espaces, de situations d’apprentissages et la liberté de combiner les deux selon son choix. Parfois, l’apprenant a besoin de s’asseoir seul et de se concentrer. À d’autres moments, la meilleure façon d’apprendre est dans un cadre social ouvert, près d’un lieu de passage, d’un escalier très fréquenté. Parfois, la situation de travail en groupe crée le besoin d’explorer, d’échanger des idées, d’écrire sur les murs, de construire des projets ou de visualiser les réflexions. (…) Les enfants apprennent mieux dans des environnements où différentes façons de travailler sont offertes, où l’esprit et le corps sont activés ensemble. Dans une organisation traditionnelle où les élèves reçoivent passivement l’information, l’activité cérébrale est très basse.  » [8]

Concevoir le mouvement comme part naturel de tous les espaces éducatifs. C’est ainsi que Rosan Bosch, [9] célèbre designeuse suédoise construit ces espaces scolaires séduisants, stimulants et énergisants. Pour elle, le constat est simple : « Nous apprenons mieux lorsque nous sommes actifs, lorsque l’on bouge, plutôt qu’assis sur une chaise toute la journée. (…) Les élèves apprennent mieux lorsqu’ils sont actifs dans différents types d’environnements.  » [10] Peu importe la personnalité des élèves, le mouvement améliore les compétences cognitives et introduit de l’énergie dans le processus d’apprentissage. La nécessité d’exercice physique durant la journée n’est pas seulement une question de santé, cela améliore le bien-être, et fait travailler mieux et plus rapidement le cerveau. Avec différentes situations d’apprentissages, et grâce aux variations spatiales, l’élève a la possibilité de bouger, de changer de posture. Le mouvement devient pédagogique, l’élève devient acteur, il opère des choix. Il n’est plus enfermé dans le stéréotype de l’écolier passif. Le design, le mobilier, l’espace et l’agencement pour encourager le mouvement et non le décourager.

Décider alors de programmer l’espace physique avec une multitude de fonctionnalités et de variations spatiales pour améliorer l’expérience d’apprentissage et motiver les élèves. Avec plus ou moins d’investissement, imaginer un lieu stimulant qui donne envie d’apprendre. [11] L’espace comme un outil d’apprentissage.

Loris Malaguzzi, enseignant et pédagogue italien, fondateur de la méthode Reggio dans les années 1940, considère l’école comme un immense « atelier de découvertes qui stimule la débrouillardise des enfants ». Son approche de l’apprentissage envisage le développement de l’enfant à travers les interactions. Selon lui, les enfants ont trois professeurs : les adultes (parents et enseignants), les autres enfants, et leur environnement physique. « Loin d’être un simple environnement, passif et neutre, l’espace devient éducateur et objet éducatif. »

L’environnement est le troisième enseignant. La salle de classe comme le troisième professeur.  [12]