L’Oasis, définition courante
Dans le langage courant, l’oasis se définit comme l’endroit d’un désert qui présente de la végétation, un point ou une source d’eau. Au sens figuré, il évoque un lieu reposant, agréable dans un milieu hostile ou une situation pénible. Un lieu nécessaire, avec une fonction essentielle où le corps comme l’esprit peuvent se reposer, se restaurer. Qu’il s’agisse d’un trou de verdure ouvrant sur une source vitale de bien-être, ou d’un endroit réconfortant pour une escale apaisante. L’Oasis est un espace primordial dans son sens propre comme dans son sens figuré.
Sans pour autant évoluer forcément dans des milieux hostiles ou des situations pénibles, nos quotidiens, entre personnel et professionnel, sont souvent intenses et mouvementés. Nous avons besoin de cet espace oasis, de ce lieu physique ou mental, pour refaire nos forces. Dans le milieu scolaire, il existe des endroits pour répondre à ces besoins vitaux. Une banquette en salle des personnels pour une pause confortable, un espace vert dans la cour pour un moment de convivialité, un coin lecture dans une salle de classe pour se ressourcer dans son espace littéraire, un distributeur de boissons ou une machine à café pour se restaurer autour d’une discussion… Ou encore à l’image de ce professeur nomade, qui a pris soin de se choisir une belle bouteille thermo-isolante bleue, son oasis mobile et colorée, sa source permanente de bien-être, pour se réchauffer avec un thé réconfortant, pour un moment calme et rassurant. L’oasis est donc, dans le sens courant, un espace physique, mental, littéraire ou virtuel… Qui apaise et réconforte, il permet de se ressourcer et de refaire ces forces en apportant le bien-être nécessaire à nos quotidiens surmenés.
La typologie des espaces scolaires
Si David Thornburg a identifié et créé cette typologie, mettant en lumière une organisation humaine des espaces pour apprendre, c’est à la designeuse suédoise Rosan Bosch [6] que l’on doit la transposition concrète de cette réflexion, l’articulation de ces métaphores abstraites avec l’aménagement physique des espaces.
Rosan Bosch utilise le design comme un outil stratégique pour stimuler, autant les apprenants que les enseignants, à travers la création d’expériences spatiales. Pour elle, « les bâtiments où nous vivons, travaillons, et apprenons ont une influence directe sur notre santé, notre bien-être, notre relation avec les autres et notre habilité à apprendre. Les espaces physiques que nous habitons nous forment et nous définissent. (…) L’environnement spatial est un outil important qui peut être conçu pour inspirer, motiver et accompagner des styles et des méthodes pédagogiques. (…) Les espaces physiques d’apprentissages devraient être aussi divers que les personnes qui les côtoient. [7] »
C’est pourquoi, elle s’est inspirée des métaphores de David Thornburg, pour imaginer six environnements physiques d’apprentissages, stimulants, motivants et énergisants. Ces principes sont des scénographies qui mettent en scène la façon dont les compétences et les réflexions sont construites. Ils définissent notre manière de penser les espaces et notre façon de les utiliser pour apprendre. Les métaphores sont des guides pour la conception, des principes pour accompagner différents types d’interactions humaines. Ils servent désormais de bases de références pour la typologie des espaces pédagogiques notamment dans la démarche de co-construction qui définit le projet Archiclasse.
Un espace donc, ou plutôt des espaces réfléchis pour permettre différentes manières d’échanger, d’apprendre, de travailler, et permettre la mise en place de différents scénarios pédagogiques. Des espaces organisés pour activer les esprits, stimuler la créativité, développer l’autonomie, pour motiver les élèves et les enseignants. Si l’environnement spatial est un outil stratégique, qu’il a une influence sur nos comportements, il est important de le concevoir, de l’organiser et de l’aménager avec soin. Imaginer des lieux accueillants qui donnent envie d’apprendre, dans lesquels nous prenons plaisir à travailler. Des espaces confortables, agréables dans lesquels nous nous sentons bien avec les autres.
L’Oasis scolaire
Parmi ces métaphores, l’oasis est un lieu important, aux connotations positives, riches de sens, qui fait écho dans l’imaginaire collectif à de nombreuses représentations agréables. Il est le lieu de l’interactions par excellence. Il est pourtant souvent oublié dans nos réflexions sur les espaces scolaires. Considéré comme secondaire, accessoire, qui s’organise de lui-même, il n’est que très peu exploité et peu considéré pour son rôle dans les apprentissages. En effet, l’oasis est un lieu avec un autre usage, une fonction principale : un hall d’entrée, un couloir, un escalier, une cafétéria, un distributeur de boissons, un point matériel ou un coin numérique dans la classe… C’est un espace stratégique, un lieu d’attraction, un point de convergence architectural et social qui attire les différents usagers. Un espace qui, avec un aménagement raisonné, offre la possibilité de la rencontre, de l’échange productif, et le plaisir de l’altérité. L’interaction, la conversation comme source de motivation, d’inspiration et de bien-être.
Ci-dessus, différents espaces Oasis, extrait du kit ArchiStart [8]
La typologie Oasis caractérise un espace informel, un lieu de passage, un espace de dialogue impromptu. Son organisation spatiale varie pour laisser la place à sa fonctionnalité de base. Il permet d’offrir une situation où l’apprentissage est libre et décontracté. Plusieurs individus échangent pour partager des connaissances, des questionnements, des idées afin d’avancer dans leurs réflexions ou dans leurs projets. Il est le lieu de la discussion, de l’apprentissage social entre pairs. Un espace dynamique où le corps peut se libérer de la posture scolaire standardisée. Une zone de liberté, un espace de végétation, une source de bien-être dans lequel il est possible de se ressourcer, de se restaurer. Un lieu accueillant, confortable, où il devient possible de se détendre en compagnie des autres.
L’environnement scolaire offre peu d’espace de liberté, de zone d’autonomie où il est possible d’évoluer, de travailler, de s’épanouir, et de se construire autrement. Même s’il existe aujourd’hui bons nombres d’espaces scolaires disruptifs, l’école est un lieu d’habitude pédagogique et de tradition architecturale forte. Les représentations scolaires sont encore très ancrées dans les esprits des enseignants, des élèves, des parents et de tous les acteurs de l’école. Souvent figé, chaque espace a une fonction précise, avec une organisation spatiale fixe, standardisée qui va induire toujours le même type de comportements, d’interactions et d’enseignements. Seule la cour de récréation, cet espace ouvert, souvent vide, offre une possible liberté de mouvement, et d’interactions sociales décontractées. Habituellement, elle est peu aménagée, essentiellement quelques assises fixes : de lourds bancs, quelques tables pique-nique, des jeux pour les plus jeunes. Plus le public prend de l’âge moins il y a d’aménagement dans la cour. Un espace considéré, comme son nom l’indique comme un lieu uniquement récréatif, n’offrant pas beaucoup de confort, ni de possibilités différentes de postures ou d’interactions humaines. Il est rare, par exemple, de pouvoir travailler en groupe dans cet espace.
L’oasis est bien le lieu de l’interaction, un espace dynamique permettant le dialogue avec les autres. L’oasis est un lieu aux multiples formes, il peut être dans la classe, dans un couloir, un escalier, un hall, une cafétéria ou à l’extérieur. Nous considérons trop souvent, que l’apprentissage se fait uniquement dans les salles au travers des cours et du partage de connaissances, mais nous oublions que l’école est le lieu de l’apprentissage social. L’expérience scolaire, c’est l’expérience de l’altérité. L’école, c’est l’apprentissage de la vie en société, de l’action collective et de la citoyenneté, la formation de la personne et du citoyen, le respect des choix personnels et des responsabilités individuelles [9].
Ci-dessus, différents espaces Oasis, extrait du kit ArchiStart [10]. https://archiclasse.education.fr/ArchiStart
Pour John Dewey, célèbre philosophe américain, « l’école est principalement une institution sociale. (…) l’éducation est un processus de vie et non une préparation pour une vie future [11]. » Pour lui, l’éducation est sociale, les élèves doivent apprendre à l’école à devenir des membres sains et actifs du pays auquel ils appartiennent. L’apprentissage comme processus social et démocratique. « L’école devient elle-même une forme de vie sociale, une communauté en miniature étroitement liée aux autres modes d’expériences que le groupe vit en dehors de l’école [12]. » Il ne s’agit pas d’un endroit où l’on apprend des leçons et où l’on forme des habitudes, mais d’un lieu de vie pour l’enfant, dans lequel il est membre de la société [13]. Son credo pédagogique est que l’école doit donner envie d’apprendre, permettre l’épanouissement des capacités de chacun, promouvoir l’esprit d’initiative et libérer la créativité [14]. Éduquer signifie communiquer aux autres notre expérience afin qu’elle devienne un bien commun.
Faire l’expérience de l’autre, apprendre du collectif, dans son contraste fort avec l’individuel. À l’école, il s’agit de créer, d’imaginer des espaces dans lesquels cet apprentissage est possible, donner la possibilité de la rencontre, pas seulement dans la cour de récréation. Aménager, organiser, construire des espaces dans lesquels les interactions sont possibles. Des lieux qui encouragent, stimulent, déclenchent les échanges, la coopération, la collaboration. La discussion est un élément essentiel de notre existence. En témoigne par exemple, notre usage du téléphone portable, comme outil de conversation si essentiel, véritable oasis numérique, espace virtuel de communication. Déjà en 2014, David Thornburg remarquait un usage pédagogique plus important des téléphones mobiles en comparaison avec d’autres outils technologiques [15]. Selon lui, il s’agit d’une confirmation que le dialogue entre pairs est important pour l’apprentissage.
Pour Lev Vygotski, l’enfant est d’abord un être social. Le développement de sa pensée, de son langage, et de toutes ses fonctions psychiques supérieures est le fruit d’une interaction permanente. Le développement de l’enfant ne procède pas de l’individuel vers le social, mais du social vers l’individuel. L’apprentissage se fait dans l’interaction, avec les autres, ce qui va ensuite permettre le développement. Il affirme que « l’apprentissage devance toujours le développement [16] » . L’enfant progresse grâce à l’environnement didactique. Il utilise le concept de zone prochaine (proximale) de développement (ZPD) c’est-à-dire l’espace conceptuel entre ce que l’enfant peut apprendre de lui-même et ce qu’il peut apprendre avec l’aide d’un adulte ou d’un autre apprenant. La ZPD, est donc tout ce que l’enfant peut maîtriser quand une aide appropriée lui est donnée car « ce que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain [17]. » Cette zone s’étend à tout ce que nous sommes capables de faire dès le moment où l’on nous aide. Débattre, par exemple, permet d’entrer dans cet espace. Percevoir les choses autrement, c’est acquérir d’autres possibilités d’action sur elles. C’est pourquoi, Lev Vygotski invite les formateurs à favoriser la coopération dans les apprentissages.
Il est question ici d’un concept essentiel en pédagogie, le conflit socio-cognitif. Un concept développé dans le champ de la psychologie au début des années 80. Il met en évidence l’influence positive des interactions sociales sur les apprentissages. L’apprentissage entre pairs peut être supérieur, sous certaines conditions, à l’apprentissage seul ou face à un formateur, car il suscite des confrontations de points de vue générant la remise en cause de représentations et par conséquent l’émergence de nouvelles connaissances.
L’Oasis, spa pédagogique, bien-être collectif
L’homme est donc vraiment un être social. Il apprend dans l’interaction et progresse dans l’altérité. Aristote l’observait déjà, « la société est une réalité naturelle, et l’homme est par nature un être fait pour vivre en société. » Un homme en dehors de toute société ne peut être qu’un homme déshumanisé. Un homme ne devient homme que dans et au travers d’une société. « L’homme qui ne fait en rien partie d’une cité, d’une société, est soit une brute soit un dieu. » Le langage, en particulier, auquel est liée la pensée, est un phénomène purement social. La vie psychologique de l’homme dépend, en effet entièrement de conditions sociales qui autorisent sa naissance et son développement [18].
Et pourtant, il nous vient rapidement à l’esprit cette phrase célèbre : « l’enfer, c’est les autres. » Nous avons tous expérimenté cette difficulté à devoir être en permanence au contact d’autrui, dans une relation permanente à l’altérité. Partager un espace donné, évoluer dans un endroit restreint, travailler dans un lieu obligé, remplis d’individus que nous devons côtoyer sans en avoir le choix. Dans sa pièce, Huit clos, écrite en 1943, Jean-Paul Sartre écrit que l’enfer ne relève pas de la torture physique mais du fait de ne jamais pouvoir s’extraire du jugement d’autrui. « Tous ces regards qui me mangent… Ha, vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. Alors, c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru… Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le grill... Ah ! Quelle plaisanterie. Pas de besoin de grill : l’enfer, c’est les autres. » Vivre pour l’éternité, à coexister, à se supporter et à se détester. La conscience n’est pas seule au monde et doit s’arranger avec les autres consciences, ainsi lutter pour exister. Il y a souvent un malentendu ici, Jean-Paul Sartre ne veut pas dire que les rapports avec les autres sont empoisonnés, mais qu’il est nécessaire d’apprendre à être avec les autres, de construire une relation saine avec autrui, de trouver l’équilibre dans l’altérité. « Parce que les autres sont, au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont — nous ont donnés — de nous juger [19]. »
L’école est une société, c’est apprendre à vivre avec les autres, c’est l’expérience de la vie sociale. Il s’agit du lieu de vie principal des enfants et des adolescents. Ils passent leurs journées à évoluer dans cette cité de l’apprentissage. C’est là que se construit leur système de relations, leur mode de fonctionnement avec les autres. Ils sont de fait dans l’interaction en permanence. Ils doivent apprendre à se construire non pas sous, mais avec le regard de l’autre. Ne pas subir l’altérité, mais la considérer comme naturelle et essentielle. Il est possible, par l’aménagement des espaces scolaires, de créer une dynamique positive de l’interaction. Imaginer de multiples lieux de rencontres, dans lesquels il serait permis de choisir le type d’interaction voulue. Pas uniquement dans la cour de récréation dans laquelle on ne sait pas trop où se mettre. Dans cet espace ouvert, l’individu est facilement livré aux regards du groupe, du collectif.
Réfléchir alors à fragmenter le lieu. Non pas un espace, mais des espaces différents avec des aménagements variés offrant différents usages et donc différentes manières d’interagir :
- Discuter avec quelqu’un, dans une relation interpersonnelle ;
- Travailler en groupe pour collaborer, coopérer ;
- Se restaurer seul en profitant de l’environnement social ;
- Se réunir entre pairs en ayant la possibilité d’échanger aussi avec des adultes dans un lieu partagé.
Il parait intéressant d’imaginer dans le cadre scolaire, des espaces pour encourager les interactions réelles, visibles, pour favoriser les échanges avec un objectif pédagogique et éducatif, pour enfin créer les conditions de la rencontre.
« Rencontrer quelqu’un, c’est se trouver projeté au seuil d’un nouveau monde, happé par l’envie de l’explorer ; c’est une invitation au voyage. (…) Une rencontre marque parfois aussi la naissance d’un projet. Le monde de l’autre nous intéresse moins que tout ce que nous allons pouvoir construire ensemble. Le signe que la rencontre a lieu est alors l’excitation que ce projet provoque en nous : cette envie d’en découdre, de s’engager sans tarder, la certitude que nous allons faire équipe et ensemble réaliser de grandes choses. (…) Rencontrer quelqu’un, c’est découvrir un autre point de vue sur les choses, faire l’expérience d’un changement dans notre rapport au monde. (...) L’expérience de l’altérité finit tôt ou tard par produire des effets. (…) » Plus encore que découvrir un autre point de vue, la rencontre nous permet de changer, de prendre une nouvelle voie, de modifier quelques-unes de nos habitudes, de nos opinions également, nos goûts peuvent évoluer, et dans certaines situations nous ne réagissons plus de la même façon, bref nous changeons au contact de l’autre [20].
L’homme est un être social qui apprend et progresse dans l’altérité. Puisqu’il s’agit d’un fait, d’une réalité, autant réfléchir à l’espace scolaire sous l’angle de l’interaction, de la rencontre. Penser une organisation des lieux d’apprentissages pour favoriser la relation à l’autre dans une construction positive, développer l’entraide et créer le bien-être grâce à la collaboration. L’Oasis scolaire, comme un spa pédagogique et éducatif dans lequel nous pourrions nous ressourcer dans l’altérité, dans la rencontre agréable, nous restaurer dans l’échange réconfortant, dans l’interaction apaisante. Une source de bien-être puisée dans l’énergie du collectif.
« Nous sommes dépendants des autres. La rencontre n’est pas un agrément, une alternative accessoire, elle nous est essentielle, elle modèle notre personnalité ; elle est au cœur de l’aventure de notre existence. (…) Elle nous révèle à nous-même et nous ouvre au monde. C’est là sa force et son mystère : j’ai besoin de l’autre, de rencontrer l’autre pour me rencontrer. Il me faut rencontrer ce qui n’est pas moi pour devenir moi [21]. »
L’Oasis, c’est aussi les autres.
Ci-dessus, établi ou charriot de matériel deviennent des espaces Oasis dans la classe. Des points de rencontres. Arts Lab [22], académie de Nice.