article de fond

Thématique #1 - Réfléchir au lieu, penser la salle par Marie Bara

Un article de Marie Bara, professeure agrégée d’arts plastiques et formatrice Arts Plastiques et numérique (Académie de Nice)

Avant de se lancer, dans la métamorphose, même modeste, des espaces éducatifs et pédagogiques, il est important de réfléchir à quelques éléments essentiels à la réussite de tout projet d’aménagement. Il ne s’agit pas de transposer un modèle, de faire un copier-coller dans un lieu. Mais bien de trouver des solutions créatives adaptées à un espace, d’aller cueillir des idées, de les aménager en fonction des élèves, des usages ou de l’enseignement, pour construire un projet singulier.

>> Les usages et les usagers

Il est nécessaire de considérer comment le lieu est utilisé, pour quels usages, quels enseignements, et pour quels élèves. Évidemment, on n’organise pas de la même façon une cour d’école au primaire et au lycée, ou même d’une école à l’autre ou d’un lycée à l’autre. Les lieux sont différents, les usagers aussi. Un couloir, un hall d’entrée, un préau n’ont pas la même contrainte de fonction, ils ne peuvent pas être aménagés à l’identique pour des raisons de sécurité, de circulation, mais aussi d’usages. Évidemment, on ne pense pas non plus l’aménagement d’une classe de la même façon selon la discipline enseignée, mais aussi selon le nombre d’élèves et leur fréquence dans la salle.

Lorsque l’on a une seule classe, de 10, 24, ou 30 élèves qui évoluent dans la même salle toute la semaine, il est plutôt nécessaire que les élèves s’approprient leurs espaces. Imaginer ainsi un endroit confortable, accueillant, qui donne envie de travailler. Créer des variations, des changements dans l’espace pour cultiver la motivation. Rythmer sa pédagogie en proposant différents types d’espaces pour différentes façons de travailler, différents moments d’apprentissages. Prendre en compte l’hétérogénéité des élèves, c’est aussi prendre en compte leur manière d’apprendre dans l’espace, leur posture dans l’apprentissage.

En revanche, si l’on a 17 classes, 425 élèves qui passent une heure par semaine se partageant ainsi la salle, la problématique est différente : certes l’endroit peut-être aussi accueillant, confortable et stimulant, mais l’aménagement se doit d’être aéré pour faciliter la circulation. Le mobilier doit être plutôt pratique, résistant, et modulable pour s’adapter aux flux incessants d’élèves différents et à leur effervescence créative. Il s’agit là de répondre aux besoins d’un large ensemble d’élèves.

>> Les besoins et les objectifs

Les lieux ont des fonctions, ils ont aussi leurs caractéristiques propres, ce qui va induire une certaine façon de les utiliser. Au quotidien, à l’usage, les élèves et les adultes s’approprient les lieux. Un petit muret où l’on peut s’asseoir, un escalier où l’on se retrouve en groupe, un couloir qui permet de s’isoler pour travailler par terre...
Il est nécessaire d’observer les élèves, leurs façons d’utiliser les lieux, mais aussi leurs besoins au moment des apprentissages. Certains ont besoin de circuler, de bouger pour réfléchir, d’autres aiment travailler debout. Il y a ceux qui préfèrent se retrouver ensemble pour collaborer et ceux qui ont besoin de se concentrer, de s’isoler... Tout autant d’ergonomie d’apprentissage à prendre en compte dans l’aménagement, pour cultiver la motivation et le bien-être dans le travail.

Observer les élèves, mais aussi les consulter, leur demander leurs avis. Comment veulent-ils travailler ? De quoi auraient-ils besoin ? Les réponses sont parfois surprenantes : plus de livres à disposition, un fauteuil pour se concentrer sur la tablette, des coussins et un tapis pour travailler par terre... La participation des élèves dans l’aménagement, la définition ou la redéfinition des espaces, permet une appropriation plus forte du lieu, un élément essentiel pour entretenir l’envie de travailler. Évidemment, cette démarche, accompagnée par les adultes, doit faciliter le quotidien, apaiser le climat scolaire. Au lieu de lutter pour empêcher un élève qui a besoin de circuler pour réfléchir ou de travailler debout, organiser l’espace pour qu’il puisse le faire sans perturber les autres. Créer ainsi un espace collectif et pourtant individualisé, qui prend en compte les personnalités, qui respecte les individus et leur façon de travailler.

Rendre les élèves acteurs, les impliquer dans la construction, dans la métamorphose de leur environnement vient en complément des besoins identifiés et des objectifs définis par les enseignants ou les autres acteurs éducatifs. Souvent, tous ces besoins se rejoignent.
Reste la définition des objectifs, comme des priorités qui aideront la mise en œuvre. Par exemple, si l’on veut favoriser le travail en groupe, la coopération : organiser des tables en îlots, les mettre sur des roulettes, récupérer une table ronde, investir dans des chaises mobiles avec tablettes intégrées ... Si l’on veut développer l’autonomie : déployer le matériel, les ressources dans la salle, sur un chariot mobile, une étagère, un établi accroché au mur, imaginer une signalétique claire et des espaces bien définis pour permettre aux élèves de se repérer seul.

>> Pédagogie et environnement

Il faut garder à l’esprit que le pédagogique et l’environnement sont liés, ils sont en interaction ensemble. Certains lieux viennent stimuler la créativité pendant que d’autres encouragent la réflexion. Il existe des espaces qui favorisent le travail en groupe, d’autres qui invitent à la concentration. Tout enseignant s’est vu un jour déplacer des tables, des chaises pour accompagner une séance particulière et créer un espace pour ainsi induire une certaine façon de travailler. L’espace, la salle de classe comme un dispositif pédagogique. Loris Malaguzzi, enseignant italien, fondateur de la méthode Reggio, considère même l’environnement comme le troisième enseignant, la salle de classe comme le troisième professeur (Les deux premiers étant les autres élèves et les adultes : parents et professeurs)

La pédagogie Reggio est une philosophie et une pratique de l’éducation, à l’origine pour les jeunes enfants, développées au cours des années 1960 par Loris Malaguzzi dans sa ville de Reggio Emilia.
On peut résumer cette approche, radicale, par quelques principes :
 les enfants ont une motivation et une capacité extraordinaire d’apprentissage de toutes choses ; il suffit de ne pas l’empêcher et d’en fournir les moyens ;
 ce sont les enfants et autres apprenants qui apprennent ; ce ne sont pas les enseignants qui inculquent, encore moins la pensée, l’expressivité ou la créativité ;
 les enfants et adultes coopèrent pour le bien de chacun et de tous, et de la communauté ; l’inverse étant que les adultes décident, imposent et contrôlent à peu près tout : objectifs, cursus, contenus, méthodes, moyens, organisation, temps et lieux… (source : wikipedia)

>> Espace et aménagement

L’espace est très présent, il conditionne notre quotidien professionnel, il interagit avec nos actions, il est donc essentiel de réfléchir au lieu, de penser sa salle, de construire l’environnement pour qu’il devienne « pédagogique ». Bien souvent, il nous faut faire avec l’espace, il nous est attribué, il ne correspond pas toujours aux besoins éducatifs et pédagogiques du moment. Trop petit, trop grand, trop de baies vitrées, pas assez de lumière, pièce de forme triangulaire, pilier au milieu, mezzanine...
Tout autant de contraintes à prendre en considération. Il est difficile de changer d’espace et très compliqué de modifier son ergonomie. Des travaux sont parfois possibles. Les démarches administratives, l’étude de chaque cas, et l’éventuelle mise en œuvre des travaux, prennent du temps, souvent plus d’une année scolaire.

Les démarches sont à faire, par l’intermédiaire des établissements, auprès des mairies pour les écoles, des conseils départementaux pour les collèges et des conseils régionaux pour les lycées. Abattre un mur ou récupérer un couloir « inutile » pour agrandir une salle, peut-être possible cependant, certaines demandes ne peuvent être accordées compte tenu des fortes contraintes avec les architectures scolaires (respect de la maîtrise d’ouvrage, murs porteurs, bâtiments classés, sécurité...).
C’est pourquoi un aménagement astucieux et réfléchit peut permettre de répondre rapidement aux attentes scolaires. Pour tout espace contraignant il existe de nombreuses solutions créatives pour le rendre plus fonctionnel et accueillant.

Par exemple, pour « agrandir » un espace ; peindre un pan de mur de couleur, diminuer le nombre de meubles, les choisir petits pour dégager le lieu, mettre des armoires basses pour ouvrir l’horizon, optimiser l’espace en prévoyant le rangement du matériel accroché aux murs, utilisé des étagères en hauteur pour stocker ou exposer... À chaque espace ces solutions. Ainsi peu importe la surface, petite ou grande, avec quelques aménagements, un peu d’investissement financier, une salle peut jouer avec la forme scolaire et devenir singulière.

>> Budget et financement

Une métamorphose n’est pas synonyme de grande révolution. C’est pourquoi la problématique budgétaire n’en est pas vraiment une.
Tout d’abord, beaucoup d’aménagements sont possibles en utilisant le mobilier existant ou en recyclant d’autres meubles endormis dans les nombreuses réserves des établissements scolaires.

Ensuite créer un lieu stimulant, définir un espace, le rendre accueillant, cela peut être possible, simplement en peignant un pan de mur, ou le coin d’une pièce en couleur. Une solution très économique du plus bel effet. Il ne faut jamais sous-estimer l’effet de la couleur sur notre perception des espaces. Créer un bel endroit, imaginer une salle séduisante, avec une esthétique d’ensemble, participe pleinement à entretenir la motivation et à développer le sentiment de bien-être.

Enfin, du mobilier, il en existe à tous les prix. De grandes enseignes proposent des fauteuils, des tabourets, des tables basses, des tapis, des coussins... Des meubles pratiques et esthétiques, à petit prix, qu’il faut choisir en privilégiant l’hygiène, la sécurité, la solidité et le confort. Ainsi, ces meubles pourront s’intégrer au mobilier standardisé et venir rompre avec la forme scolaire traditionnelle.
Bien sûr, il existe des entreprises spécialisées dans l’aménagement des écoles. Beaucoup proposent toute une gamme de meubles permettant de répondre aux nouveaux besoins pédagogiques de variations des espaces, de changements de posture de travail. Les coûts sont plus élevés, mais le matériel est pensé pour l’école et répond à toutes les normes de sécurité.

Ces aménagements peuvent être financés sur les fonds propres de l’établissement ou par les collectivités locales. Les mairies pour les écoles, les conseils départementaux pour les collèges, et les conseils régionaux pour les lycées.

L’écriture d’un document clair, si possible imagé, expliquant le projet et ces objectifs, est souvent nécessaire pour pouvoir communiquer avec l’équipe de direction ou avec les acteurs des collectivités. Fiche action, fiche projet... Déroulant le détail de la mise en œuvre souhaitée, peut-être un plan du futur aménagement, différents devis ou une estimation des coûts, des références visuelles, institutionnelles, permettant aisément de comprendre les idées. Tout ce qui pourra servir à rendre intelligible la démarche, à donner du sens à l’ambition et permettre de se projeter dans le nouvel espace. Une argumentation destinée à justifier les choix, rappelant qu’il s’agit d’un projet pédagogique et non d’une simple décoration.

Il est aussi possible de mutualiser les forces. Faire une demande collective motivée auprès du conseil départemental, par exemple, pour obtenir un charriot mobile de tablettes dans un collège. Ainsi, plusieurs porteurs de projets peuvent pour créer un document, une présentation, une vidéo, explicitant la plus-value pédagogique, de l’utilisation de ces outils numériques. Les démarches sont nombreuses et l’obtention du matériel prend du temps, là encore, plus d’une année scolaire. D’où la nécessité d’anticiper les démarches ou de réduire les coûts pour une mise en œuvre plus rapide, en finançant le projet sur les fonds propres de l’établissement.

>> Personnalité et ambition

Réfléchir au lieu, penser la salle peut se faire de façon modeste, petit à petit, en expérimentant, en observant et en suivant son cheminement pédagogique. De petits aménagements simples, permettent de vrai changement pédagogique, qui viennent stimuler, autant les élèves que les enseignants. Chacun peut, en fonction de sa personnalité, créer et faire vivre son projet singulier.

Il peut être aussi, intéressant de prendre le temps de la documentation, de la réflexion, individuelle et collective. Organiser la concertation, entre adultes et avec les élèves, pour impulser une vraie dynamique d’établissement, imaginer une métamorphose des espaces, de tous les espaces, pour changer l’école.
Les ambitions sont multiples. Elles ont toutes leurs places, grandes ou petites. Il y a autant d’espace que de « forme scolaire » à inventer.