article de fond

Thématique #2 - Un lieu, des espaces : les différents espaces d’apprentissages. par Marie Bara

Un article de Marie Bara, professeure agrégée d’arts plastiques et formatrice Arts Plastiques et numérique (Académie de Nice)

Un lieu, qu’il s’agisse d’une école ou d’une salle, se compose de différents espaces auxquels correspondent différentes fonctions. Une salle de classe s’organise généralement entre l’espace des élèves, le « coin » professeur, et le tableau qui oriente « traditionnellement » l’espace en tant que lieu de présentation, comme une « scène » propice aux « représentations » successives de l’enseignant et des élèves.

C’est à l’école primaire, et tout particulièrement en maternelle, que l’on a rapidement eu besoin d’aménager les salles avec des « coins » différents. Tout d’abord simplement pour répondre aux besoins physiologiques des très jeunes enfants, mais aussi pour pouvoir multiplier et varier les activités, nécessairement réduites dans le temps afin de maintenir l’attention et diminuer la fatigue des petits « élèves ».

Il s’agit aujourd’hui d’une réflexion menée par bon nombre d’acteurs de l’Éducation nationale, et d’un besoin ressenti et partagé par beaucoup d’enseignants du primaire tout comme du secondaire.

Avant de pouvoir vous parler des différentes typologies d’espaces, il nous faut revenir aux fondations, à l’origine de ces concepts très actuels, pour pouvoir pleinement les comprendre et saisir l’ampleur de ce mouvement de réflexion internationale.

Nous entendons beaucoup parler de « forme scolaire », mais de quoi s’agit-il exactement et d’où vient ce concept au cœur des réflexions du moment ? Comment le numérique contribue-t-il à questionner la « forme scolaire » établie ?
Beaucoup s’interrogent sur les espaces d’apprentissages ; il y a comme un « mouvement » très volontaire pour « bouger sa classe », un « courant » qui imagine des aménagements différents. Mais au fait, pourquoi créer différents espaces d’apprentissages ?

Enfin nous parlons de « feu de camp » ou de « grotte », des termes qui peuvent sembler complètement farfelus aux non-initiés. D’où viennent ces termes et à quoi correspondent- ils ?

Vers une autre « forme scolaire » …

La forme scolaire est notre modèle « social et historique de transmission », c’est à dire notre organisation culturelle de l’école, tant dans la manière d’enseigner que dans l’aménagement spatial et l’organisation temporelle. Ainsi, d’autres pays ont une tradition scolaire différente et donc une autre forme scolaire. Cette notion a été théorisée en France, par le sociologue Guy Vincent en 1980. Pour lui, «  la forme scolaire est une forme socialisée d’enseignement et d’apprentissage. Elle se construit dans l’histoire au long cours du système scolaire, avec la visée d’une formation pour tous. » [1]

Notre héritage historique, longtemps considéré comme acquis, n’est plus une évidence aujourd’hui. Il n’est plus forcément adapté à notre époque, à notre société et à ses nouveaux défis pédagogiques. «  L’espace de l’amphi se dessinait jadis comme un champ de forces dont le centre orchestral de gravité se trouvait sur l’estrade, au point focal de la chaire, à la lettre un power point. Là, se situait la densité lourde du savoir, quasi-nulle à la périphérie. Désormais distribué partout, le savoir se répand dans un espace homogène, décentré, libre de mouvements. La salle d’autrefois est morte, même si encore on ne voit qu’elle, même si, on ne sait construire qu’elle, même si la société du spectacle cherche à l’imposer encore. » [2]

... un lieu polymorphe.

Le numérique, par sa place prédominante dans le monde contemporain, invite à questionner notre traditionnelle « forme scolaire ». En effet, internet et les outils numériques ont bouleversé notre façon de travailler, notre rapport à l’information et aux savoirs. « Le numérique n’est pas seulement une révolution technologique. Comme le furent, en leur temps l’invention de l’écriture et celle de l’imprimerie, il est aussi un phénomène culturel et social qui imprègne les actes les plus ordinaires de notre vie et nos représentations du monde : notre perception de l’espace et du temps, notre relation aux autres, nos façons de penser, d’imaginer et de créer, nos modes de travail et d’accès au savoir, ainsi que nos manières de produire et de diffuser les connaissances. (...) L’École est particulièrement concernée par ces transformations, non seulement parce que, prise dans le mouvement, elle en subit elle-même fortement l’impact, dans ses pratiques comme dans son organisation, mais aussi parce que sa mission est de préparer les élèves à vivre et à jouer leur rôle dans la société́ qui les attend. » [3]

Catherine Becchetti-Bizot, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, étudie précisément cette problématique, dans son rapport de mai 2017 et observe les mutations produites par ces « nouvelles habitudes technologiques ». Des évolutions qui transforment notre tradition scolaire. « Avec le développement des réseaux, le déploiement des supports mobiles et l’accès facilité à une infinité́ d’informations et de ressources en ligne, le numérique est en train de faire exploser [notre] écosystème [scolaire]. En multipliant les interactions, il introduit de l’horizontalité́ dans les échanges, brise les hiérarchies, favorise à la fois des formes de travail plus collaboratives et des modalités d’apprentissage plus personnalisées. Il permet d’apprendre en mobilité́ et dans des environnements diversifiés, laisse pénétrer de nouveaux protagonistes dans la sphère de l’éducation et met en question l’autorité́ du maître. En bref, il dé-linéarise la relation au savoir, redistribuant en particulier les sources de connaissance et les redéployant potentiellement au-delà̀ des murs de la classe, qui assuraient l’unité́ de temps, de lieu et d’action de l’enseignement. Enfin, il invite à prendre en compte un certain nombre de pratiques et de savoirs informels que les élèves peuvent développer en dehors de l’École. » [4]

Pourquoi imaginer différents espaces d’apprentissages ?

Le numérique est pour beaucoup dans cette remise en question de notre paradigme scolaire. Même sans avoir un chariot mobile de tablettes dans sa classe, il est très présent et il façonne nos comportements. Parce que nous l’utilisons, tous les jours, il s’impose comme un des vecteurs principaux de notre cognition, et change notre rapport aux connaissances.

Enseignants, nous expérimentons tous, dans nos cours, lors de temps de transmission frontale, des élèves qui bavardent, qui gigotent, et d’autres qui demeurent anormalement passifs. L’attention s’évapore. La concentration se fait difficile : « Madame, je n’arrive pas à réfléchir ! ». La motivation peine à exister, les postures passives nuisent aux apprentissages. Mais nous observons aussi cet enthousiasme, cette envie récurrente de travailler à plusieurs : « Madame, on peut travailler à deux ?  » « Je peux me déplacer pour travailler avec untel ?  ». Se regrouper pour se rassurer face à l’apprentissage, pour oser davantage, «  à deux, on est plus fort ! », pour être dans la richesse et le dynamisme de l’interaction, pour sortir de la léthargie... Bref, on le voit bien au quotidien, ces modalités collaboratives d’apprentissages changent notre manière d’enseigner aussi. Et pourtant, la salle de classe a du mal à être imaginée autrement.

«  La disposition de la salle de classe en rangées alignées « en autobus » est le reflet de [la] forme homogène et frontale de transmission, où tous les élèves travaillent au même rythme, dans un espace unique et rationnalisé, et sur les mêmes supports – le tableau noir, le cahier, le livre – sous l’autorité́ d’un maître dont le savoir, de facto, « fait autorité́  ». [5]

Cette salle, figée dans l’histoire, ne s’impose plus nécessairement aujourd’hui. Elle peut se métamorphoser. Il s’agit donc de créer un lieu avec des espaces différents pour répondre aux divers besoins pédagogiques, loin de la standardisation de l’espace et du mobilier, imaginer un lieu avec des espaces prenant en compte les individualités et leurs besoins en fonction des temps de l’apprentissages.

Créer différents espaces d’apprentissages pour

  • enrichir sa pédagogie, varier les situations d’apprentissages, combattre l’ennui ;
  • faciliter la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves ;
  • favoriser la collaboration, la coopération, le travail en groupe ;
  • développer l’autonomie, encourager les élèves à faire des choix, les rendre plus actifs ;
  • prendre en compte le bien-être et le confort de travail propices aux apprentissages, des espaces qui donnent envie d’apprendre, de travailler ;
  • prendre du plaisir à travailler seul et avec les autres ;
  • améliorer le climat scolaire.

A l’origine de la typologie des espaces

David Thornburg, conférencier, professeur d’université, auteur de nombreux livres et d’articles sur l’utilisation des nouvelles technologies en éducation, est à l’origine des célèbres métaphores sur les espaces d’apprentissages qui ont inspiré les architectes, les designers et les éducateurs. Dans les années 90, c’est dans son livre Campfires in Cyberspace (feu de camp dans le cyber espace) qu’il évoque pour la première fois ces métaphores. Selon lui, depuis toujours, l’homme a eu besoin d’occuper quatre différents espaces pour apprendre : le feu de camp (campfire), la grotte (cave), l’oasis (watering holes), et le labo (Life).

Ces recherches ont été reprises depuis et ont beaucoup influencé les chercheurs du monde entier. Le travail de la designeuse suédoise Rosan Bosch est l’un des plus intéressants. Elle articule et transpose ces métaphores abstraites avec l’aménagement physique des espaces. Pour elle, le constat est simple : « Nous apprenons mieux lorsque nous sommes actifs, lorsque l’on bouge, plutôt qu’assis sur une chaise toute la journée. Nous percevons les connaissances plus rapidement lorsque nous sommes engagés dans une expérimentation pleine de sens, plutôt qu’en étudiant le savoir seul. Nous prenons plaisir à apprendre avec les autres. Nous apprenons mieux quand la curiosité devient notre moteur.  » [6]

Elle utilise donc le design comme un outil stratégique, au travers d’interventions spatiales dans des établissements scolaires afin de réactualiser ou d’inventer des espaces d’apprentissages stimulants, motivants et « énergisants » tant pour les élèves que pour les enseignants. Rosan Bosch considère que « les espaces physiques d’apprentissages devraient être aussi divers que les personnes qui les côtoient. » [7]. C’est pourquoi, elle s’est inspirée des métaphores de David Thorburg, pour imaginer six environnements physiques d’apprentissages. Ils servent désormais de bases de références pour la typologie d’espaces.

Les différents espaces d’apprentissages

La typologie des espaces présentée ci -dessous est une traduction et une adaptation française des espaces d’apprentissages développés par Rosan Bosch et connus à l’international. Ils sont les espaces de références utilisés par le site Archiclasse.

« Feu de camp » est la terminologie employée pour désigner tout espace de réflexion en petit groupe, un endroit de coopération, de collaboration. Un lieu où les élèves peuvent apprendre à se concentrer tout en interagissant avec les autres.

« Scène » est la terminologie employée pour désigner tout est espace de communication, un lieu de présentation au groupe. L’endroit du débat, le forum, l’Agora, la « place publique ». Un lieu citoyen où tout le monde échange, donne son avis et apprend à écouter celui des autres.

« Grotte » est la terminologie employée pour désigner tout espace pour la réflexion, la concentration individuelle. Un endroit calme, pas nécessairement isolé, où l’on peut procéder à l’intériorisation de ce qui a été observé ou expérimenté

« Oasis » est la terminologie employée pour désigner tout lieu de rencontre, un espace informel où l’on dialogue entre pairs, un endroit de passage où l’apprentissage se fait par la conversation. Un espace où l’interaction sociale permet d’avancer dans la compréhension.

« Labo » est la terminologie employée pour désigner tout lieu d’expérimentation, où l’on fait la démonstration de connaissances, également l’endroit où l’on met en pratique ce que l’on a appris. Il est le lien entre la théorie et la pratique, il permet d’apprendre en faisant.

« Sources » est la terminologie employée pour désigner tous les lieux d’information, de documentation permettant la recherche, les centres de connaissances, aussi bien par les journaux, que par les livres ou les ressources numériques.

Les espaces de réflexion : le feu de camp et la grotte

Le « feu de camp » est un espace, physique ou virtuel, permettant l’apprentissage en petit groupe. Un lieu où il est possible de discuter, d’échanger, sans déranger les autres. Le mobilier doit faciliter le processus de travail en groupe. Des tables rondes, des grands îlots permettant de tous se rassembler autour. Des tables flexibles, des chaises mobiles, légères ou sur roulettes, permettant de bouger, d’évoluer au sein du groupe.

Un espace qui peut-être imaginé de manière plus « décontractée », moins scolaire. Par exemple, avec des assises « relax » (poufs poires, fauteuils, coussins…), autorisant des postures plus libres et permettant potentiellement de dynamiser le travail en groupe. Mais aussi un espace plus ou moins formel au sein duquel le travail de groupe est possible sans aménagement particulier, uniquement en utilisant le mobilier existant et en créant des « feux de camp » virtuels. (déplacements, éparpillements des élèves dans l’espace, ronde de chaise, coussins au sol, réunion autour du tableau blanc…).

La « grotte » est un espace individuel pour l’apprentissage, un lieu privé, physique ou virtuel qui offre l’opportunité de la réflexion, de la concentration, de l’intériorisation des connaissances. L’espace de la « grotte » se caractérise par le calme, mais pas nécessairement l’isolement. Il s’agit d’un petit espace, strictement définit, pour une ou deux personnes tout au plus, idéalement à l’écart de la zone collective. L’espace s’organise pour offrir une situation d’apprentissage sans communication.

Il peut être plus ou moins ouvert ou transparent et plus ou moins connecté aux autres espaces. Les dimensions varient selon l’âge des « occupants » mais aussi selon le nombre éventuel d’individus pouvant occuper le lieu. La création de « grottes » peut permettre aux écoles de réactiver l’utilisation d’espaces jusqu’ici inutilisés ou sous-exploités : coins, niches, espace perdu d’une salle irrégulière, couloir, escalier…

Remerciements
  • Mélanie Fillion-Robin, collège Saint-Hilaire à Grasses
  • Emeline Claude, collège Emile Roux du Cannet.
  • Cindy Benard, Laurent Cauvin, projet classe cycle 4, collège La Marquisanne à Toulon.
  • Cassandre Ibanez, classe Ulis 1, collège La Marquisanne, à Toulon.

Notes

[2Michel SERRES Petite poucette, 2012, le pommier, p42.

[3Catherine Becchetti-Bizot, Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique. Vers de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner, rapport mai 2017.

[4Ibid, p12

[5Ibid, p11

[6Rosan BOSCH, Designing for a better world starts at school, no more class rooms, 2018, Rosan Bosch studio, p11

[7Ibid, p15