Picasso : Le mur est quelque chose de merveilleux, n’est-ce pas ?J’ai toujours prêté une grande attention à ce qui s’y passe.Quand j’étais jeune, souvent j’ai même copié des graffiti…Et combien de fois ai-je été tenté de m’arrêterdevant un beau mur et d’y graver quelque chose…Ce qui m’a retenu c’est que …Brassaï : … Vous ne pouviez pas l’emporter…Picasso : … mais oui, qu’il faut le laisser là, l’abandonner à son sort.Les graffiti sont à tout le monde et à personne. »
Brassaï, Conversation avec Picasso, Gallimard, 1964, 10 juillet 1945 [1]
Il ne s’agit pas ici de parler de graffiti, au sens propre, ni de parler de transgression ou même de l’encourager, mais l’utiliser comme une image pour comprendre ce qui se joue, dans l’utilisation de ces surfaces d’inscriptions préparées (tableaux blancs ou noirs, tables vernis) pour accueillir la pensée effaçable, le discours mis en action.
« L’utilisation du mur comme support de parole, d’information et d’expression (…) remonte au moins à 1282 avant notre ère en Égypte » [2]. Comment ne pas évoquer aussi l’Art pariétal, dans lequel la paroi permettait déjà la représentation à la Préhistoire. Cette longue tradition humaine se poursuit aujourd’hui, à l’école et ailleurs, grâce aux tableaux divers, à ces peintures « ardoise » et autres vernis qui permettent de transformer n’importe quelle surface en espace effaçable, en palimpseste éducatif.
« Le mur comme une sorte de palimpseste, qui comme ces manuscrits dont le parchemin a été gratté afin de recevoir un nouveau texte laisse néanmoins entrevoir le texte original » [3]. Dans l’espace scolaire, il s’agit d’un palimpseste au sens figuré, une image pour comprendre l’accumulation virtuelle de ces nombreuses couches éphémères d’écritures, de graphismes et de réflexions. « Le mur comme un brouillon idéal » [4]. Les surfaces d’inscription, verticales ou horizontales, deviennent de pertinentes alternatives au papier. Des murs, des tables écoresponsables qui encouragent les élèves à passer à l’action, parfois même ceux qui manquent de confiance en eux. Le graffiti pédagogique « s’appréhende comme un cheminement vers la création » [5] , un premier pas vers une réalisation plus aboutie. La dimension effaçable de ces surfaces rassure et dédramatise l’acte d’écriture ou de graphisme.
L’usage des murs et des tables dans les lieux communs participe à l’écriture d’une narration collective. Le graffiti pédagogique se déploie sur les surfaces ; il se donne à voir, se partage ; on ne peut pas l’emporter : « Il faut le laisser là, l’abandonner à son sort. Les graffitis sont à tout le monde et à personne ». Le graffiti pédagogique comme parole collective, comme vecteur de transmission. Utiliser le mur, le tableau, pour expliquer, communiquer, travailler, créer d’un geste libre. Le mur, la table, comme une interface, le lieu d’apprentissages collaboratifs, de l’échange de savoirs. Le mur, la table, comme des surfaces d’interaction, comme des « réseaux sociaux » donnant la possibilité d’être ensemble dans la création et l’expérimentation. Ces espaces d’inscription permettent aux élèves de s’engager physiquement dans les apprentissages. Ces surfaces favorisent la collaboration, la coopération, le travail en groupe, dans une posture dynamique. Graffiter, verbe d’action qui décrit des actes d’écritures. La parole, la pensée mise en action.
Le mur est quelque chose de merveilleux, comme l’évoque Pablo Picasso au photographe Brassaï. Tout enseignant a déjà pu observer l’enthousiasme et le plaisir des élèves à utiliser le tableau librement pour y inscrire leurs noms, écrire de petits messages ou autres tracés graphiques. Utiliser alors cette « attraction ludique » pour servir les apprentissages et ainsi créer de grandes surfaces inscriptibles autorisant « le graffiti pédagogique ». Pouvoir écrire sur les murs, dessiner sur les tables, laisser une trace éphémère, se confier à la mémoire numérique et entrer un peu dans la tradition humaine, sans dégrader. Grâce aux surfaces d’inscriptions, s’approprier l’espace, répondre au besoin de s’affirmer, mais aussi d’apparaître, de témoigner, être en représentation à l’abri dans le tableau.
Entretien avec Vincent Faillet.
Enseignant et auteur de Remodeler sa salle de classe et sa pédagogie aux Édition Canopé. [6]
Archiclasse : Bonjour Vincent Faillet ! Pourriez-vous vous présenter, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore.
Vincent Faillet : Je suis enseignant de SVT au lycée Dorian à Paris et je suis aussi doctorant en sciences de l’éducation à l’université Paris-Descartes.
Archiclasse : Comment en êtes-vous arrivé à faire travailler vos élèves sur les murs ?
V.F. : En 2015, j’ai progressivement repensé ma salle de classe avec mes élèves de terminale notamment en leur laissant l’opportunité de disposer les tables comme ils le souhaitaient et en étant libres de leurs mouvements. Ils ont ainsi commencé à coloniser le tableau de la salle de classe. Devant cet engouement et la place venant à manquer je les ai autorisés tout naturellement à tracer des tableaux sur les murs et à écrire à la craie sur ces derniers.
2015, l’anschluss pédagogique [7], les élèves tracent sur les murs des tableaux blancs en attendant le déploiement des vrais tableaux.
Archiclasse : Comment avez-vous procédé matériellement ?
V.F. : J’avais en amont validé avec le Proviseur du lycée, M. Gruat, l’achat de tableaux blancs effaçables à sec qui viendraient à terme recouvrir les pariétales écritures. Un investissement à la portée de tout établissement.
Archiclasse : Est-ce une salle partagée ? Si oui, quelle est votre organisation ?
V.F. : Oui, c’était une salle partagée avec d’autres, il est rapidement apparu plus pratique que cette salle regroupe des enseignants susceptibles de partager la même pédagogie. Cela permettait de donner du poids au projet et cela faisait sens pour les élèves.
Archiclasse : Quelles ont été les démarches effectuées pour l’aménagement ? Auprès de quels interlocuteurs ?
V.F. : Dès lors que nous avons décidé d’aller plus loin que de couvrir les murs de tableaux et de repenser complètement la salle de classe, la principale difficulté à été de trouver du mobilier qui sorte de l’ordinaire. En 2015, à l’exception d’une célèbre chaise à roulette avec sa tablette écritoire, il était très difficile de quitter les sentiers battus du mobilier scolaire ordinaire. J’ai fini par trouver les tables et chaises du programme 3.4.5 de ia-france. A l’époque, la question de la forme scolaire était fort peu abordée et l’aménagement flexible des salles de classe n’avait pas l’écho qu’il peut avoir aujourd’hui. Mon chef d’établissement m’a pourtant suivi sur ces dépenses. Je me demande encore pourquoi ! C’est lui qu’il faudrait interviewer en fait (rires) !
Archiclasse : Quelle est la plus-value pédagogique de ce type d’aménagement ? Qu’est-ce que cela apporte à l’enseignement ? À l’enseignant ? Aux élèves ?
V.F. : L’espace et la pédagogie sont intimement liés. L’un ne va pas sans l’autre, l’un ne change pas sans l’autre. Repenser l’espace c’est avant tout pour repenser la pédagogie. Les grandes surfaces d’interaction que sont les tableaux muraux favorisent les échanges entre élèves et, in fine l’enseignement mutuel, d’où le nom de « classe mutuelle » que j’ai donné à mon expérimentation. Les tableaux offrent une vision panoptique des réflexions tant pour les enseignants que pour les élèves et ce qui était du domaine du caché devient visible par tous. Les tableaux sont le cœur de la méthode. L’aménagement mobilier de la salle de classe participe à ce nouveau paradigme même si cela n’est pas primordial. Un mobilier modulaire et léger va faciliter une recomposition de l’espace de la salle en fonction des besoins pédagogiques pour créer des zones telles celles proposées par le site Archiclasse : feu de camp [8], grotte [9], etc. La question que doit se poser tout candidat à la redéfinition de l’espace scolaire est la suivante : « En quoi ce nouveau mobilier est-il indispensable et pertinent dans les démarches pédagogiques que je souhaite mettre en œuvre ? ».
Archiclasse : Avez-vous pu observer des variations de cet aménagement chez d’autres ? Lesquelles ?
V.F. : Je suis dans le partage et mon vœu est que chacun puisse s’approprier les idées pour les amender, les améliorer. L’idée de mettre les élèves en interaction devant des surfaces d’écriture visibles par tous fait florès ; les murs se couvrent de tableaux, j’en suis heureux. Certains préfèrent avoir la totalité du mur inscriptible à l’aide de peintures spéciales, d’autres utilisent des petits tableaux qui encouragent le nomadisme, d’autres encore écrivent sur les tables ou sur les vitres… Chacun apporte sa pierre à l’édifice et construit sa salle de classe idéale en fonction de ses orientations pédagogiques.
Archiclasse : Auriez-vous des conseils pour ceux qui souhaitent en faire de même mais qui hésitent encore un peu ?
V.F. : Pas de prosélytisme dans mon propos. Hésiter c’est douter, douter c’est progresser. Je conseille toujours d’avancer à petits pas dans l’innovation. Il faut y aller progressivement. De plus, se lancer dans une salle de classe disruptive ne doit pas être un exercice solitaire. Il convient de profiter des expériences des collègues qui ont déjà remodelé leur salle de classe et leur pédagogie en échangeant via les réseaux sociaux notamment, en suivant des formations telles que celles souvent proposées par Canopé et bien sûr en parcourant régulièrement le site Archiclasse !
Archiclasse : Merci Vincent Faillet.