L’attention des élèves est un bien précieux pour un enseignant. Elle est même un des préalables à toute entreprise didactique. Sans attention, il est difficile d’engager les élèves dans une tâche et de les y maintenir pour favoriser les apprentissages. Je ne parle pas ici de la motivation des élèves, autre pilier de la pédagogie. Et si l’organisation des espaces dans la classe était un levier pour reconquérir l’attention des élèves ? C’est le résultats d’une expérimentation menée en collège que nous rapportons ici.
Observer et impliquer les élèves
Tout commence en janvier 2016, après quelques mois difficiles avec deux classes de sixièmes en cours de Français. Les niveaux et les capacités des élèves sont remarquablement hétérogènes, l’attention est très volatile, rare et toujours de courte durée. Une longue phase d’observation me fait remarquer que quelques élèves cherchent par moments à se mettre debout alors que d’autres glissent de leur chaise pour s’asseoir au sol, certains ont besoin d’une sollicitation presque permanente de l’enseignant pour se concentrer alors que d’autres attendent patiemment de se mettre véritablement au travail.
J’ai rapidement identifié le manque d’attention comme étant le problème principal, celui auquel il fallait s’attaquer en priorité. Mais j’ai soumis une courte enquête à mes collègues pour vérifier s’ils partageaient mon constat. Le résultat fut sans appel comme le montrent les réponses à cette enquête.
Dans l’esprit de ce qui est préconisé chez les Savanturiers dont je suivais alors le MOOC, j’ai décidé d’interroger les élèves sur les difficultés que nous rencontrions et sur les dispositifs qui pourraient améliorer notre situation. J’ai donc commencé par leur soumettre un questionnaire assez complet sur ce qui les gênait en classe, sur ce qu’ils appréciaient, sur les tâches qu’ils aimaient réaliser, seuls ou en groupe, sur les places qu’ils préféraient occuper dans la classe, sur le mobilier, sur la décoration… le tout sous la forme d’un simple questionnaire dont il fallait cocher les phrases dans lesquelles ils se reconnaissaient. Ensuite, je leur ai donné une feuille sur laquelle était dessiné le plan de notre salle de classe et où seuls l’emplacement de la porte et du tableau étaient représentés. Les élèves devaient proposer une organisation des 27 tables, du bureau du professeur, d’un coin de détente servant de « sas de décompression » ainsi que de trois plantes vertes. Enfin, les élèves étaient invités à marquer sur ce plan l’endroit qu’ils souhaitaient occuper. Les nouvelles organisations spatiales proposées n’ont rien eu de révolutionnaire, les élèves avaient imaginé des aménagements connus d’eux comme la classe en îlots. Mais l’objectif ici était de les impliquer dans la réflexion autour d’un nouveau lieu qui engendrerait peut-être de nouveaux comportements.
Un long travail d’analyse des réponses des élèves a été nécessaire pour comprendre le profil de chacun et pour confronter leurs réponses au questionnaire avec l’idée que je m’étais faite d’eux à travers l’observation de leur attitude.
Concevoir le nouvel espace et scénariser sa découverte
J’ai rapidement présenté cette expérimentation à mon chef d’établissement en lui demandant son accord pour investir une nouvelle salle de classe et pour récupérer du mobilier inutilisé dans l’établissement. J’aurais pu transformer la salle ou nous étions installés mais j’avais la chance de pouvoir occuper une nouvelle salle. A ce moment-là, mes collègues n’étaient pas impliqués dans ce projet car je ne savais pas précisément où j’allais…
J’ai commencé par identifier et classer les problématiques : certains élèves avaient un grand besoin de ma proximité pour rester concentrés, d’autres me semblaient capables de collaborer dans un groupe de trois ou quatre, deux autres avaient besoin de passer du temps debout, un élève ne pouvait travailler que s’il était un peu isolé, quelques autres avaient parfois besoin de passer quelques minutes dans un lieu calme à l’écart, dès l’entrée en classe, de façon à faire baisser la pression accumulée dans le cours d’avant ou dans le couloir. Enfin, un petit groupe d’élèves très performants semblait capable de travailler rapidement et de manière autonome.
L’organisation que j’allais mettre en place devait répondre aux problématiques individuelles observées, j’allais essayer de différencier ma pédagogie en m’appuyant sur l’espace de la classe. J’ai donc gardé les 27 tables individuelles et je les ai disposées en trois zones : un premier rang face au tableau où ont été placés les élèves les moins attentifs, quatre ilots occupés par des élèves capables de collaborer et un rang d’élèves performants placé au fond de la classe, au calme, j’ai rajouté un mange-debout pour permettre à certains de travailler debout de temps en temps, une armoire a été déplacée pour servir de cloison et permettre l’aménagement du « sas de décompression », on y trouvait un pouf, une table basse, des livres, une plante verte et une large fenêtre ouvrant sur la ville.
J’ai pris soin d’impliquer au mieux les élèves qui allaient se trouver au premier rang dans l’aménagement physique de la salle : nous préparions en quelque sorte une surprise pour les autres. Avant d’investir ce nouvel espace d’apprentissage, nous avons pris un peu de temps sur le cours de français pour débattre et discuter de l’attitude qu’il faudrait adopter dans ce nouveau lieu, de la nouvelle façon de travailler : la bonne manière d’entrer en classe a été rappelée, les règles de prises de parole ont été redites, le rôle de chacun a été clarifié : les élèves du premier rang avaient « la chance » de travailler essentiellement avec l’aide du professeur, ceux qui étaient dans les ilots devaient s’entraider dans le calme et les élèves performants placés au fond travaillerez seuls, s’autocorrigeraient à l’aide de vidéos ou de fiches avant d’aller aider les élèves qui en exprimeraient le besoin. Il a fallu leur expliquer ce qui était attendu d’eux et ce que signifiait « aider un camarade ». Les rares élèves qui avaient besoin de se lever iraient travailler sur le mange-debout dès qu’ils le souhaiteraient sans même le demander au professeur. Enfin, il arriverait qu’un élève particulièrement excité lors de l’entrée en classe serait invité à aller se calmer dans le « sas de décompression » avant de rejoindre sa place.
La pédagogie avant tout !
Mais cette nouvelle organisation de l’espace impliquait d’autres changements, moins visibles : il fallait réduire la parole magistrale de l’enseignant à l’essentiel pour consacrer le maximum de temps à la tâche des élèves ; le tableau ne serait utilisé qu’au début et à la fin du cours. Voilà la manière dont se déroulaient chaque heure de classe dès le début de cette expérimentation en sixième sur le thème du récit d’aventures : Chaque heure commence par une courte vidéo ou une lecture enregistrée de 4 à 6 minutes afin de capter l’attention des élèves (l’enseignant est alors disponible pour recentrer les élèves encore distraits) ; ensuite une fiche de travail individuel liée à la vidéo ou à l’extrait sonore est distribuée à tous les élèves ; chacun travaille à son rythme, l’enseignant s’occupe prioritairement des élèves du premier rang ; généralement au bout de 20 minutes de travail, les élèves performants ont terminé, une fiche (ou une vidéo sur une tablette) d’autocorrection leur est alors mise à disposition ; une fois leur travail corrigé, ils sont disponibles pour aller aider ceux qui dans les ilots rencontrent les premières difficultés ; pendant ce temps-là le professeur « navigue » entre les ilots et le premier rang, ne communiquant que rarement à la classe entière mais parlant à voix basse avec des groupes réduits d’élèves. Enfin les 10 dernières minutes du cours sont dévolues à un retour au collectif pour échanger sur les points importants ou corriger le travail.
Je dois ajouter ici que j’ai décidé au même moment d’abandonner momentanément l’utilisation du cahier des élèves pour favoriser uniquement l’utilisation des fiches qui restaient dans la classe et ne revenaient que le weekend à la maison. Ainsi je pouvais les vérifier et redonner la fiche à un élèves manquant ou dont le travail n’était pas satisfaisant. A la fin du chapitre, toutes ces fiches étaient agrafées pour constituer un livret complet et propre.
On le voit, chaque séance demande une forte préparation des supports pédagogiques (document vidéo ou sonore du début d’heure, fiche de travail, et fiche d’autocorrection) mais c’est la garantie d’une atmosphère de classe plus apaisée ou chaque élève est occupé à travailler, à recevoir de l’aide ou à en donner.
Le bilan et les suites à donner
Les effets de cette nouvelle organisation spatiale et pédagogique ont été rapidement identifiables : une atmosphère de classe plus apaisée, une attention en hausse, des élèves qui entrent plus rapidement dans les tâches et qui s’y maintiennent aussi davantage. Le « sas de décompression » s’est peu à peu transformé en coin lecture : un endroit agréable qui motivait certains élèves à travailler rapidement pour aller y passer un moment. Le mange debout a été très apprécié par un élève qui y a passé beaucoup de temps, trouvant là un endroit pour dégourdir ses jambes sans que cela ne gêne personne.
Une chose remarquable et inattendue a été que quelques élèves en difficulté ont progressivement voulu, eux aussi, aider les autres. Ils avaient compris que cette responsabilité était très valorisante. Il a donc fallu leur trouver une manière d’aider leurs camarades, souvent sur un point très précis sur lequel ils étaient compétents.
D’un point de vue strictement financier, cette expérimentation n’a rien couté puisqu’elle a été réalisée avec du matériel déjà présent dans l’établissement ou de récupération. Quelques mois après avoir mené ce projet, j’en ai fait une présentation à mes collègues en insistant sur les effets remarqués. Chacun a pris ce qui lui semblait duplicable ou adaptable : le mange-debout, le « sas de décompression », l’aide des élèves performants, les plantes vertes… Ce qui est sûr c’est que la seule organisation d’un espace différent n’aurait pas eu autant d’efficacité car la pédagogie doit, elle aussi, être repensée.
Après avoir testé ce dispositif avec de jeunes élèves de collège, il reste à l’adapter aux classes de quatrième et de troisième pour qui les enjeux ne seront pas les mêmes, la conquête d’un travail plus autonome par exemple.